Une des deux nouvelles productions de l'édition 2019 du Festival Rossini de Pesaro, Semiramide (ici en coproduction avec l’Opéra royal de Wallonie-Liège) met à l’honneur une interprète passée il y a peu par l’Académie de ce festival : Salome Jicia, dont la vocalité pleine de cran et l’investissement dramatique font une Semiramide convaincante. À ses côtés, Varduhi Abrahamyan compose un Arbace profond et attachant, Nahuel di Pierro est un Assur de belle prestance – même si on pourrait rêver voix plus large pour le personnage –, l’Oroe de Carlo Cigni impose sa présence concentrée malgré un timbre charbonneux, et Antonino Siragusa sert Idreno de sa technique sans faille – un rien froid néanmoins dans ses interventions face à la tendre Azema de Martiniana Antonie. En fosse, Michele Mariotti fait sonner avec superbe l’Orchestra Sinfonica Nazionale della RAI, contrastes architecturés et couleurs nourries, dans cette acoustique de la Vitrifrigo Arena aussi problématique (la réverbération dissout certains effets harmoniques) qu’avantageuse (les parois et plafond ajoutés au cœur de cette grande salle multifonction afin d’y créer une « salle » lyrique réfléchissent généreusement les voix). Le Chœur du Théâtre Ventidio Basso y est aussi riche et éclatant.

Les contraintes du lieu (et notamment l’absence de dégagements) conduisent aussi les metteurs en scène à des choix scénographiques stricts, dont le décor unique et modulable est la clé. Pour la mise en scène de Graham Vick, qui prend pour axe de lecture la culpabilité latente de Semiramide d’avoir jadis causé la disparition de son fils, Stuart Nunn joue d’images fortes. À l’avant-scène, côté cour, un lit d’enfant est occupé tour à tour par Semiramide ou Arsace, espace mental partagé avant même que la vérité n’éclate ; il sera relayé sur scène par la version gigantisée d’un ours en peluche, doudou devenu Commandeur écrasant la reine de Babylone de sa présence latente. Quant à l’époux assassiné, son regard s’étale en très gros plan sur les murs du palais : transgresser son tombeau reviendra à pénétrer son portrait lacéré. Peut-être un peu appuyés, les symboles n’en sont pas moins pertinents et cohérents. Un peu moins du côté des costumes, où trois catégories clairement tranchées font appel à des imaginaires culturels disparates, aussi éloignés de l’intrigue originelle que les uns des autres : Oroe et ses mages en sadhous hindouistes, corps enduis de cendres et dreadlocks à l’appui ; Idreno et Azema en maharaja et maharani aux parures richissimes ; mais Semiramide en despote contemporain, dont l’armée (le chœur) de clones frôle la science-fiction sixties. Reste que la direction d’acteurs est parfaitement adaptée à chacun et à chaque groupe : la justesse expressive l’emporte donc, et donne réellement corps aux enjeux de l’intrigue.

Chantal Cazaux

À lire : notre édition de Sémiramis : L’Avant-Scène Opéra n° 184


Photos : Studio Amati Bacciardi