Une fois n’est pas coutume, L’Avant-Scène Opéra ouvre ses colonnes au piano : on ne résiste pas aux plaisirs-surprises que les festivals d’été peuvent nous apporter.

Pour sa 10e édition, le Biarritz Piano Festival s’est conclu par un récital d’Arcadi Volodos donné à la rotonde de l’Espace Bellevue. Pour l’occasion, le pianiste russe a repris un étonnant et exigeant programme déjà donné à Bruxelles (novembre 2018) ou Aix-en-Provence (Festival de Pâques 2019). Étonnant, car le fossé de langage musical et pianistique entre Schubert, qui tient à lui seul la première partie, et Rachmaninov et Scriabine, qui se partagent la seconde, est un abîme, que réussit pourtant à franchir et unifier le choix de pièces essentiellement intérieures ou contemplatives, voire à la limite de l’abstraction. Exigeant, car rares aujourd’hui sont ces marathons musicaux (près d’une heure de musique pour la première partie seulement !) qui demandent au public d’autant plus de concentration qu’ils ne reposent pas sur des pièces d’essence spectaculaire ; pari en ce sens réussi, car le récital a reçu une écoute plus qu’attentive : quasi religieuse.

Dans la Première Sonate pour piano (mi majeur, D.157) puis les Six moments musicaux D.780 de Schubert, la façon percussive de Volodos d’étager les plans sonores et contrapuntiques peut désarçonner, tant ce traitement quasi chirurgical dépouille ce premier romantisme allemand de son chant et d’un legato qu’on attendrait plus charnel. En revanche, déjà sidère l’art des dynamiques, dont l’amplitude cisèle des pianissimos impalpables et pourtant vibrants, de ces sons de fumée capables de suspendre le souffle de l’auditeur. Si l’on avoue trouver quelque dureté aux attaques lorsqu’elles se veulent ligne de crête, la manière se mue en qualité orchestrale et plastique quand vient le temps de la seconde partie. Chez Rachmaninov (trois Préludes – op. 3 n° 2, op. 23 n° 10 et op. 32 n° 10 –, la Sérénade op. 3 n° 5 et l’Étude-Tableau en do mineur op. 33 n° 3) ou Scriabine (Mazurka op. 25 n° 3, Caresse dansée, Énigme, Deux danses op. 73), l’on adhère pleinement à ce piano quasi mystique, où puissance tellurique et spiritualité évanescente dialoguent de concert. C’est aussi là que se libère soudain toute la sensualité qui pouvait manquer auparavant, notamment dans l’adaptation de la romance de Rachmaninov « Zdes khorosho » : coutumier de l’exercice, Volodos laisse alors exploser un piano riche d’inspirations surprenantes et hédonistes, où les harmonies rêveuses et languides d’un Bill Evans ne sont pas les dernières. Le récital se clôt – avant de généreux bis – sur un Scriabine à la fois survolté et extrême, ce Vers la flamme qui semble embraser le piano et, là encore, faire soudain exploser en brasier toute la virtuosité de l’interprète jusque-là tenue en respect par un programme avant tout introspectif. Une expérience.

Chantal Cazaux


Photos : Jourdain Kobycheva