Lara Neumann (Denise / Mam'zelle Nitouche)

Cette année, la musique « romantique » défendue par le Palazzetto Bru Zane prend les couleurs du répertoire léger – bicentenaire Offenbach oblige. Le « Mozart des Champs-Élysées » (dixit Rossini) y est bien servi, avec Maître Péronilla en concert au Théâtre des Champs-Élysées, un récital de Jodie Devos et des duos pour violoncelles, ainsi que Madame Favart à l’Opéra-Comique, où se tiendra aussi un colloque consacré à « Jacques Offenbach, musicien européen » (programme complet du festival ici)…. mais aussi Charles Lecocq (Sauvons la caisse) et Frédéric Barbier (Faust et Marguerite), et surtout l’éternel rival d’Offenbach, Hervé.

C’est à lui que revient le titre de créateur de l’opérette, et Mam’zelle Nitouche (1883) en est un bel exemple. Selon un effectif réduit, chansons, danses et situations titillant la morale se conjuguent pour servir avec bonne humeur une histoire farfelue et néanmoins inspirée de la vie d’Hervé : au couvent des Hirondelles, l’organiste Célestin cache sa seconde identité nocturne, celle du compositeur Floridor qui triomphe avec ses opérettes ; après une nuit de folie au cours de laquelle la novice Denise se retrouve sur les planches et célébrée comme artiste (sous le nom de scène de Mam’zelle Nitouche) par toute une caserne, tout se terminera bien pour la jeune femme et son mentor. La rencontre du sabre, du goupillon et de la jarretière fait des étincelles, tant dans la partition, entraînante, que dans son livret (de Meilhac et Millaud), riche en paroles cocasses, et ne pouvait qu’inspirer Pierre-André Weitz, qui signe là mise en scène et scénographie du spectacle – lequel a déjà circulé en région depuis sa création à Toulon en 2017.

Autour d’une tournette « trinitaire », le décor est tour à tour chapelle, salle de spectacle (et ses abords) et caserne. Les costumes s’en donnent à cœur joie et ne refusent évidemment pas le jeu du travesti ou de la double identité, que ce soit l’habit de nonne qui cache des bas de soie, l’apparition sulpicienne (version Gilbert et George) de sainte Nitouche, ou la performance multiple de Miss Knife (Olivier Py) dans les rôles de la Mère Supérieure et de l’actrice Corinne, outrées mais pour la bonne cause. Olivier Py revient d’ailleurs en soldat Loriot, complétant un tableau vocal très assuré, qui va des hululements en voix de tête au chant le plus gouailleur. Notons au passage qu’une belle équipe de comédiens-chanteurs n’a pas besoin de sonorisation : on aimerait que les musicals (du Marigny ou d’ailleurs) s’en souviennent… Le ton est au clin d’œil appuyé, à la farce assumée, qu’on apprécie car le sens du rythme ne fait jamais défaut, pas plus que l’homogénéité de ton et de qualité des artistes réunis, et que le tout est discrètement pimenté par la modernité des chorégraphies punchy d’Iris Florentiny.

Sous la direction pêchue de Christophe Grapperon, l’orchestre des Frivolités parisiennes fait mouche. Lara Neumann est une Denise/Mam’zelle Nitouche au réel abattage et qui sert toutes les facettes de sa partie vocale, laquelle cache sous une apparente légèreté de vraies difficultés (d’intonation, de mélisme et de tessiture : le médium est fort sollicité). Major parfaitement ronchon d’Eddie Chignara, charmant Fernand de Samy Camps et, surtout, fabuleux Célestin/Floridor de Damien Bigourdan, qui surprend, séduit, intrigue ou amuse à chaque mot, chaque son, chaque mimique : vrai personnage singulier créé bien au-delà de ce que l’œuvre propose, et musicalité vocale permanente qui fait de la parole parlée une mélodie aux sinuosités hypnotiques. Il nous rappelle que le vrai héros de Mam’zelle Nitouche n’est finalement pas son rôle-titre, mais son… compositeur.

Chantal Cazaux


Au centre : Olivier Py (Miss Knife, alias Corinne) et Antoine Philippot (le Directeur de théâtre, debout)
Photos : D.R.