Roberto Alagna (Otello) et Aleksandra Kurzak (Desdemona).

La création d'Otello dans la mise en scène d'Andrei Serban en 2004 avait éveillé l'intérêt tout autant que la critique. Certains lui reprochaient alors quelques effets grotesques et trop faciles. Les reprises successives (une première en 2011) lui ont vraisemblablement permis de gagner en simplicité. Dans le décor épuré mais efficace de Peter Pabst (quelques murs à arcades déplacés au fil du spectacle, un palmier en fond de scène), les interprètes évoluent au gré d'un intéressant jeu de rideaux : des voilages translucides apportent hauteur au plateau et perspective sur scène en délimitant différents espaces. Une fausse intimité se met alors en place entre les protagonistes qui se cachent et s'épient. On retrouve cependant certains choix de mise en scène dont on se serait volontiers passé : le crâne tendu à Iago dans son air « Credo in un Dio crudel » (trop convenu pour évoquer l'œuvre de Shakespeare), les peintures de guerre d'Otello dans la scène finale (trop saugrenues), et beaucoup de fracas inutile, de vitres cassées et de chaises renversées. Souvent livrés à eux-mêmes, les chanteurs sont heureusement tous suffisamment bons acteurs pour s'emparer du plateau et proposer un jeu de scène convaincant. 

La scène de tempête initiale est bien réalisée à l'aide d'effets de lumière (lumières de Joël Hourbeigt à qui l'on doit une très belle lune dans les scènes de nuit) et d’une projection de vagues. Les costumes de Graciela Galán sont quant à eux très soignés. On apprécie particulièrement leur variété et le foisonnement de couleurs dans la scène finale de l’acte III.

La distribution vocale était prometteuse avec notamment un duo Otello/Desdemona alléchant. Roberto Alagna démarre en fanfare : une voix toujours claire, démontrant sa puissance d'entrée de jeu, avec de très belles longueurs dans le souffle et une prononciation impeccable. Amoureux éperdu dans le premier acte, on le voit progressivement assailli par le doute dans le deuxième et l'on attend avec impatience la suite de l’évolution du personnage. Malheureusement, la deuxième partie ne tient pas ses promesses : enroué, sa voix lui joue des tours jusqu'à la fin de l'opéra (éraillements à chaque attaque de phrase, certains aigus peu assurés). Si la technique et l'expérience d'Alagna lui permettent d'assurer malgré tout sa partie jusqu'au bout (il nous offre un superbe et poignant « Dio mi potevi scagliar »), on le sent moins à l'aise et sa prestation scénique s'en ressent. Même si sa faiblesse vocale peut servir son personnage, elle ne permet pas au ténor de s’investir totalement dans son rôle. Pourtant, le final de l’acte III (lorsqu’il crie, égaré : « Il fazzoletto ! » avant de s’évanouir) laissait augurer de ce qu'aurait pu être cet Otello sombrant dans la folie, s’il avait été en pleine possession de ses moyens. 

De son côté, George Gagnidze offre une honorable prestation en Iago. Il sait apporter au personnage ce qu’il faut de sournoiserie, même si son jeu reste très convenu. Vocalement, la voix du baryton est un peu voilée et, en pleine puissance, manque de précision dans la justesse. Heureusement l’opéra lui permet à plusieurs reprises de jouer dans un registre plus doux. Dans les nuances piano et les parties plus chuchotées, Gagnidze se révèle excellent : sa voix est plus détimbrée mais gagne en justesse. Le baryton est superbe quand il instille chez Otello le poison de la jalousie et du doute dans son air « Era la notte, Cassio dormÌa ». 

Frédéric Antoun campe un charmant et élégant Cassio. Sa voix ronde manque parfois de puissance mais son allure enjouée et naïve inspire spontanément la sympathie envers le personnage victime du complot de l’infâme Iago. En face de lui, Alessandro Liberatore incarne un très bon Roderigo, même s’il est un peu trop discret vocalement et scéniquement.

La véritable étoile de la soirée est incontestablement la Desdemona d’Aleksandra Kurzak. Et le public ne s'y trompe pas, à l'écoute des chaleureux applaudissements qu'il lui réserve au salut final. D’une voix douce, qui sait se faire sensuelle et langoureuse dans les duos avec Otello, la soprano dégage en même temps une telle candeur qu’elle incarne à la perfection la jeune épouse innocente. Touchante aussi bien lorsqu’elle se défend des accusations d’infidélité (acte III) que dans sa prière finale, elle s’envole avec facilité dans les aigus et nous gratifie de très beaux graves.

Les petits rôles sont tous à la hauteur, depuis Thomas Dear (Montano) et Paul Gay (Lodovico), impeccables, jusqu’au bref passage du héraut de Florent Mbia. On regrette un peu que Marie Gautrot n’ait pas le charisme suffisant pour porter le rôle d’Emilia, pourtant essentiel à la dramaturgie puisque c’est elle qui va dénoncer en premier les vils agissements de Iago.

Enfin, le chœur offre également une prestation honorable, sans plus. Il manque de puissance dans sa première intervention, l’articulation n’est pas toujours très claire et, dans les passages chuchotés, les attaques manquent de précision et installent un léger fouillis. On déplore également les mouvements des choristes dont la gestuelle est mécanique et très peu naturelle, en particulier dans la scène du feu de joie de l’acte I. On lui préfère le chœur d’enfants (Maîtrise des Hauts-de-Seine et Chœur d’enfants de l’Opéra de Paris) accompagné des guitares dans l’acte II.

Dans la fosse, Bertrand de Billy se montre très directif avec les chanteurs sur la scène, mais l’orchestre manque un peu de subtilité et de nuances. Certains passages (le début de l’acte III par exemple, ou les contrebasses juste avant le meurtre de Desdemona) sont en revanche très réussis.

On espère donc que les futures représentations permettront de régler les quelques imprécisions et verront Roberto Alagna en meilleure forme.

Floriane Goubault

À lire : notre édition d'Otello : L’Avant-Scène Opéra n° 218


George Gagnidze (Iago), Paul Gay (Lodovico), Roberto Alagna (Otello) et Aleksandra Kurzak (Desdemona).
Photos : Charles Duprat / Opéra national de Paris.