Figure montante de l’univers lyrique, le jeune contre-ténor polonais Jakub Józef Orliński présente à la salle Gaveau le premier concert de sa tournée « Anima sacra », qui fait suite à la sortie de son album éponyme chez Warner Classics. Dirigé par Francesco Corti, l’ensemble Il Pomo d’Oro l’accompagne sur scène. Le programme du concert, au titre on ne peut plus explicite, est donc centré autour de la musique sacrée du XVIIe siècle. Mis à part l’incontournable Vivaldi et l’Allemand Hasse, ce programme a le mérite de nous faire découvrir des compositeurs moins connus du grand public tels que Johann David Heinichen, ou encore Jan Dismas Zelenka et Nicola Fago, deux exacts contemporains du « Prêtre roux ».

Le récital débute par une pièce de Heinichen, Alma Redemptoris Mater : prière adressée à la Vierge Marie, c’est un morceau lumineux et élégant. Tranquille, sans grands effets de virtuosité ostentatoire, il permet aussi bien au chanteur qu’aux musiciens de débuter le programme en douceur avant de « déclencher les hostilités » avec quelques pièces plus enlevées. Orliński ne donne donc pas encore la pleine mesure de sa voix dont le timbre légèrement voilé s’accorde idéalement avec le caractère de la pièce, pleine de douceur et de quiétude. L’interprétation sobre (presque sage) du contre-ténor est somme toute plutôt convaincante, et sa diction est excellente.

Une Sonata a quattro d’Alessandro Scarlatti laisse ensuite le devant de la scène à l'orchestre seul. Depuis le petit orgue positif, Francesco Corti dirige de manière énergique l'ensemble. En effectif de chambre, les musiciens offrent une performance enlevée et dynamique, malgré un premier violon qui, laissant échapper quelques fausses notes, se sort de justesse des traits virtuoses. On regrette surtout que le théorbe ne soit pas plus présent dans l'espace sonore : son jeu à peine audible (pour ne pas dire inexistant) est noyé dans la masse, pourtant petite, des autres musiciens. 

Orliński retrouve le devant de la scène pour l’interprétation d’une cantate de Vivaldi, Nisi Dominus. Le contraste entre l’apparence juvénile du contre-ténor et sa présence scénique, dégageant un incroyable potentiel théâtral, est étonnant. Le franc sourire qui accompagne l'artiste depuis son entrée sur scène se mue, dès les premières notes jouées par l’orchestre, en un masque accordé au ton de chaque morceau : tantôt sévère et dramatique, tantôt tendre et mélancolique. Les premiers airs de la cantate se passent sans effort apparent, les vocalises de l’allegro d’entrée sont impeccables. Les difficultés apparaissent avec la sicilienne Cum dederit. Les longues tenues de cet andante exigent une bonne gestion du souffle qui n’est pas toujours au rendez-vous : le vibrato est un peu rapide, la progression des notes n’est pas toujours maîtrisée et la justesse en fin de phrase en pâtit, le chanteur arrivant alors à bout de ressources. Les numéros suivants permettront au contre-ténor de reprendre un peu de contenance grâce à plus d’aisance dans les vocalises qui suivent, et de terminer ainsi la cantate honorablement. 

La seconde partie du programme commence avec un air de Zelenka, « S’una sol lagrima », extrait de l’oratorio Gesù al calvario. Après l’introduction instrumentale, portée par le timbre mélancolique des deux hautbois venus remplacer les flûtes de la partie précédente, Orliński nous délivre une très belle interprétation de cette aria poignante et pleine d’espoir. On remarque que le contre-ténor poursuit le programme avec un choix de pièces évoluant, depuis le début du concert, dans un même registre : celui qui convient au mieux, sans doute, à sa tessiture, mais qui reste peut-être quelque peu limité. On aimerait le voir s’aventurer au-delà et sortir de cette zone de confort vocal dans laquelle il s’est installé. Ce qu’il fera dans la pièce suivante, la cantate Tam non splendet sol creates avec, dans le premier air, quelques notes dans l’aigu mais poussées sans grande conviction. Il sera plus à l’aise sur la très belle berceuse qui suit, Dum infans iam dormit.

Les musiciens offrent ensuite au chanteur un moment de répit avec l’allegro d’une Sinfonia a otto concertani de Zelenka, où le hautbois solo assure avec brio une redoutable partie virtuose. Cet interlude instrumental flamboyant ne suffit pas à épuiser l’ensemble qui a encore de l’énergie à revendre pour la dernière pièce du programme, l’air de Hasse « Mea tormenta, properate ! », décrivant les tourments de Saint Pierre après la mort du Christ. Une fois encore, Orliński manque de sérénité sur les notes aiguës, plus forcées que chantées, mais nous gratifie en revanche de très beaux graves. Dès lors, on regrette qu’aucune pièce du programme n’ait permis au contre-ténor de s’épanouir davantage dans cette tessiture.

Le concert ne se terminera pas sans bis, dont le fameux « Vedro con mio diletto » de Vivaldi qui a révélé l’interprète au grand public l’année passée et qui est, pour le coup, totalement maîtrisé.

Ainsi, si Jakub Józef Orliński possède vraisemblablement d’indéniables qualités artistiques, il lui reste encore un peu de chemin à parcourir avant de parvenir à une technique solide. On ne peut que lui souhaiter de continuer sur cette belle lancée et de très vite atteindre des sommets.

Floriane Goubault