Elvire Beekhuizen et Marijje van Stralen.

Revisité par Frédérique Chauvet et son ensemble BarokOpera, le King Arthur de Purcell revient au Théâtre de l'Athénée où la production avait déjà été donnée en 2014. Sans reconstituer l'intégralité de l’œuvre d’origine (ce qui aurait nécessité plusieurs heures de spectacle), cette revisite sélectionne certains passages afin d’en mettre en valeur la musique, sans pour autant perdre de la dimension théâtrale propre aux semi-opéras. 

La mise en scène de Sybrand van der Werf apparaît tout d’abord minimaliste sur la petite scène du théâtre : pas de décor (seules quelques chaises disposées au fond) et, trônant au milieu de la scène, une malle au trésor sur le couvercle de laquelle émerge, fièrement plantée telle Excalibur dans son rocher, une épée de chevalier évoquant immédiatement la légende arthurienne. Mais dès l'entrée des artistes, le ton est donné : ce sera un spectacle loufoque, décalé, et surtout plein d'humour. Les interprètes ouvrent la malle dont ils extraient toutes sortes d'objets insolites (canard en plastique, ventouse à déboucher les éviers…) avant d'en sortir des costumes de théâtre. On comprend alors qu'il s'agit d'une mise en abyme, où les acteurs jouent les acteurs qui interpréteront la pièce. Ce choix paraît bien pensé, le jeu d’une répétition de théâtre permettant de justifier l'aspect fragmenté que peut revêtir l'œuvre reconstituée. Mais surtout, il autorisera tout au long de la pièce une succession de jeux facétieux entre les acteurs.

À eux seuls, les cinq protagonistes campent tous les personnages de la pièce, qu’il s’agisse des rôles parlés ou des rôles chantés. Si l'on est d'abord un peu dérouté par le choix de mêler des déclamations en anglais et en français, on prend vite goût à ces allées et venues entre la langue de Shakespeare et celle de Molière, habitées l'une et l'autre avec autant d'emphase. Les deux sopranes rayonnent sur le plateau, aussi bien vocalement que dans leur jeu de scène : à la voix ronde et chaude d’Elvire Beekhuizen (Emmeline, Philidel) répond celle plus claire et brillante de Marijje van Stralen, dont le caractère énergique et malicieux sied à merveille à l'Amour qu'elle incarne. Chez les hommes, la distribution n'est pas en reste. Si l'on peut reprocher quelques faiblesses vocales à Mattijs Hoogendijk (on a parfois la sensation qu'il manque de souffle et la justesse des notes s’en ressent), on le lui pardonne volontiers grâce à l'aplomb qu'il apporte à ses personnages (aussi bien le fier guerrier saxon Oswald, que le berger lubrique qui observe les jeunes femmes d'un air concupiscent). Le contre-ténor Oscar Verhaar, impeccable vocalement, contrebalance par sa timide réserve l’exubérance des autres personnages, même s’il peine parfois à s'imposer dans les scènes d'ensembles où sa voix reste (un peu trop) discrète. Enfin, le baryton Pieter Hendriks, passant d’un extrême à l’autre dans ses personnages, livre une performance extraordinaire. Que ce soit pour incarner le sérieux Arthur ou le maléfique Grimbald, tantôt râlant et crachant, tantôt mielleux pour séduire et allant jusqu'à prendre une voix haut perchée pour imiter Emmeline, le baryton montre toutes les facettes de son organe vocal. Son génie du froid, émergeant de la malle dans un écran de fumée tel un mort sortant de sa tombe, est tout simplement merveilleux. 

Soutenant les chanteurs, l’ensemble de chambre sur instruments baroques est irréprochable et triomphe des difficultés de justesse liées au jeu en petit effectif. Jamais trop intrusif, malgré sa place sur la scène (dont il occupe une bonne partie), il joue avec les acteurs musicalement et théâtralement, à l'image du trompettiste faisant irruption au milieu des personnages pour jouer avec son canard en plastique. Frédérique Chauvet, spécialiste du répertoire baroque, dirige ses musiciens d'une main sûre et ferme. Parfois même, elle quitte en toute confiance la conduite de l’ensemble pour rejoindre les musiciens du son de sa flûte traverso.

Du début à la fin, on assiste donc à un spectacle jubilatoire, où la mise en scène multiplie les tours de passe-passe et farces en tout genre tout en faisant preuve d'ingéniosité ; citons par exemple le moment où les personnages arrivent couverts d'un grand sac congélation, le plastique donnant à la voix un timbre particulier qui rappelle l'atmosphère feutrée et assourdie de la neige. Les clins d'œil se multiplient, jusqu'à l'évocation du brexit dans la scène finale. Les acteurs n’oublient pas d’inclure le public dans leurs facéties, passant parmi les rangs, jouant à cache-cache dans les balcons au son de la célèbre chaconne, l’invitant même à reprendre en chœur le refrain de la chanson à boire qui clôture l’œuvre. Bref, on ne s’ennuie pas un instant.

 Floriane Goubault.


À lire : notre édition de King Arthur / L’Avant-Scène Opéra n° 163


Pieter Hendriks, Elvire Beekhuizen et Marijje van Stralen.
Photos : Laurent Guizard.