Simone Osborne (Pamina) et John Relyea (Sarastro).

Après The Tempest de Thomas Adès en 2012 et L’Amour de loin de Kaija Saariaho en 2015, le Festival d’Opéra de Québec poursuit sa fructueuse collaboration avec le Met et la compagnie Ex Machina de Robert Lepage en présentant La Flûte enchantée, première incursion du metteur en scène dans l’univers de l’opéra classique.

Attiré par les œuvres où, selon ses propres dires, on trouve de nombreux « problèmes à résoudre », Lepage s’inspire du titre original allemand du Singspiel, Die Zauberflöte, pour proposer une vision mettant l’accent sur la magie, et ce, grâce au « Black Art ». C’est donc dire que la machinerie s’efface presque complètement au profit de techniques remontant à la fin du XVIIe siècle employées par sept acrobates quasi invisibles et que toute l’action – à l’exception du dernier tableau qui marque en un fort contraste le triomphe de la Lumière, symbolisé par un énorme disque solaire – se déroule devant un décor entièrement noir où apparaissent comme par enchantement des oiseaux, la flûte de Tamino, le glockenspiel de Papageno... ou la vraie Pamina dans le grand cadre vide que remettent à Tamino les trois Dames de la Reine de la Nuit. Papageno fait de la lévitation pendant son air d’entrée et un oiseau tiendra la corde avec laquelle il songera plus tard à se pendre. Au deuxième acte, une partie des épreuves se déroule dans une salle où des miroirs disposés en angles dédoublent Tamino et Papageno tandis que les trois Dames, juchées au-dessus du dispositif scénique, composent des formes inquiétantes en remuant mains et jambes.

C’est à la Reine de la Nuit que sont réservées les idées les plus ingénieuses. Au premier acte, son immense robe se détache littéralement du rideau de scène en un effet on ne peut plus spectaculaire. Au second acte, elle est à l’intérieur d’une lune diaphane qui traverse l’espace et dont elle s’extrait avant sa scène avec Pamina. Une autre image est frappante : le globe lumineux que Sarastro fait lentement graviter autour de sa tête, tel un pendule gigantesque, alors qu’il entonne « O Isis und Osiris ». Dans cette scénographie le plus souvent sombre, les costumes prennent un relief remarquable, en particulier la tenue argentée de la Reine de la Nuit et le vêtement sacerdotal doré aux reflets métalliques de Sarastro et des Prêtres d’Isis. Dans ce merveilleux livre d’images qui s’ouvre devant nos yeux éblouis, on attendait avec impatience la scène au cours de laquelle Tamino charme les animaux sauvages avec le son de sa flûte, mais il faut se contenter de simples yeux lumineux qui font en sorte que la scène tombe hélas à plat. De même, le carillon de Papageno neutralise certes Monostatos et ses esclaves, sans toutefois leur inspirer davantage qu’une esquisse de chorégraphie bien rudimentaire. Lepage devra aussi repenser le tableau final, car Papageno et Papagena y tiennent le même rang que le couple princier, idée totalement incongrue dans l’esprit initiatique de l’œuvre.

Sur le plan vocal, les hommes s’avèrent nettement supérieurs à leurs collègues féminines. Le Tamino de Frédéric Antoun offre un chant d’une parfaite élégance, à la fois suave et viril, tandis que le Papageno de Gordon Bintner est resplendissant de santé vocale. On souhaiterait cependant qu’une direction d’acteurs plus inventive permette à ce dernier de mieux faire valoir ses dons de comédien, à l’instar du superbe Armando Noguera applaudi sur cette même scène dans ce rôle en octobre 2015. John Relyea ne craint pas les notes abyssales de Sarastro, auquel il confère une grande noblesse, de même que l’Orateur plein de dignité et bien chantant de Neil Craighead. En Pamina, Simone Osborne laisse une impression partagée en raison d’une voix aux couleurs réduites et d’un manque d’expressivité, ce qui se traduit notamment par un « Ach, ich fühl’s » plutôt froid. Spécialiste des rôles aux notes stratosphériques de Thomas Adès (Ariel dans The Tempest et Leticia dans The Exterminating Angel), Audrey Luna déçoit en Reine de la Nuit : font défaut la précision des vocalises, la justesse du suraigu et l’autorité dramatique. Si la Papagena de Pascale Beaudin possède beaucoup de charme, les trois Dames de Lyne Fortin, Megan Latham et Allyson McHardy manquent quelque peu de fraîcheur. On a connu le chœur de l’Opéra de Québec dans une meilleure forme, notamment dans la Carmen de mai dernier. Quant à Thomas Rösner, il dirige avec une certaine sécheresse et adopte des tempi parfois précipités qui ne permettent pas toujours aux chanteurs de laisser s’épanouir les longues phrases mozartiennes. Souhaitons que le public de New York puisse bénéficier de la présence d’un autre chef d’orchestre dans la fosse du Met et que Robert Lepage peaufine un spectacle qui fait par ailleurs honneur à sa créativité.

L. B.

A lire : notre édition de La Flûte enchantée / L’Avant-Scène Opéra n° 196


Frédéric Antoun (Tamino) et les trois Esprits.
Photos : Louise Leblanc