C’est l’un des plus réussis des opéras de Haydn, mais il reste rarement joué – en Allemagne comme ailleurs. Après Parsifal, Orlando Paladino est la seconde nouvelle production du Festival de Munich 2018.

Au Kino du coin, vieille salle décatie d’une banlieue munichoise, on affiche la projection de Medoro und Angelica, « ein sehr guter Film ». En attendant, dans les coulisses du cinéma, la vie suit son cours, entre prosaïsme de l’entretien quotidien et sexualité assumée. Tandis que le gardien se paye Frau Herz, la caissière, derrière l’écran, Herr Herz, le propriétaire, fantasmant sur les figures des chevaliers de légende au point d’en souiller la table de projection sous les yeux indiscrets de sa fille, va faire surgir sous les traits de son entourage les personnages du Roland furieux de l’Arioste, déjà revus au goût XVIIIe siècle Nunziato Porta pour Joseph Haydn, et transportés ici sur la scène et l’écran par Axel Ranisch, un jeune acteur et réalisateur de cinéma qui « monte » en Allemagne (on lui doit quelques épisodes de la série Tatort). Sa production, bien ficelée, se veut vivante avant tout et parvient effectivement, avec le sourire, à raconter les impossibles épisodes de la folie de Roland poursuivant de sa colère sa bien-aimée Angelica enfuie avec le pleutre Medoro… Cela tient à une direction d’acteurs bien enlevée, qui sait composer des situations absurdes et des personnages délirants tout en jouant de l’implosion d’un lieu emblématique pour y faire pénétrer le mystère et la poésie d’un théâtre épique revu à l’aune du réalisme contemporain. Réussite qui ne marquera certes pas d’une pierre blanche la production baroque contemporaine, mais qui fait passer un bon moment avec une de ces œuvres où la dramaturgie musicale n’a pas le génie de celle, contemporaine, de Mozart.

La partition de Haydn recèle néanmoins des trésors, qu’une équipe très unitaire s’emploie à bien mettre en valeur tout en jouant le jeu des personnages outrés ou suffisamment caractérisés pour qu’on ne s’ennuie pas un instant. Et ce, dans un vaste équilibre théâtral et musical, sans que personne ne domine vraiment la soirée. L’Angelica d’Adela Zaharia, à l’aigu valeureux, l’Alcina de Tara Erraught, au timbre généreux, l’Eurilla d’Elena Sancho Pereg, délicieuse, sont les bonnes fées d’une partition qui ne les ménage guère, tandis que, côté messieurs, le chant est encore plus heureux, entre David Portillo (Pasquale irrésistible), Edwin Crossley-Mercer (Rodomonte très viril), Mattias Vidal (très à l’aise dans une sorte de Joe Dalton excité et maladif), Dotlev Nurgeldiyev (charmant Medoro), Guy de Mey (toujours vert) et François Lis (pour un Caronte trop bref), se partageant avec bonheur une série d’airs tout aussi exigeants. Aux commandes d’un Münchener Kammerorchester plus technique que coloré, Ivor Bolton mène le jeu avec l’énergie qu’on lui connaît, pas toujours subtile, mais assurément efficace.

On sort du Prinzregententheater content, en s’interrogeant sur le fait que Haydn attend toujours les bons génies qui lui feront trouver la place qu’il mérite au répertoire.

P.F.

A lire : notre édition d’Orlando Paladino / L’Avant-Scène Opéra n° 42.


Photos : Bayerische Staatsoper.