Stanislas de Barbeyrac (Tamino) et Mari Eriksmoen (Pamina).

Pour sa reprise au Festival d’Aix-en-Provence, où elle avait été présentée en 2014, la production de Simon McBurney (créée en 2012 à Amsterdam) en constitue l’un des moments les plus aboutis et enthousiasmants.

Le charme de cette mise en scène (reprise cette fois par Josie Daxter), qui conjugue technologie et artisanat dans un esprit joyeux et naïf, opère et se répand entre plateau (joliment « augmenté » par les effets vidéo de Finn Ross), fosse (enrichie par une cabine de bruitage aux sonorisations ludiques, et où les instrumentistes deviennent partie prenante du spectacle) et salle (prise à témoin par les protagonistes et rendue complice de leurs commentaires). Le ton est à la fantaisie poétique, contrepoint toujours pertinent à la musique de Mozart et qui sait tantôt illustrer les péripéties de l’action, tantôt s’évader dans l’implicite pour laisser libre cours aux exégèses les plus intellectuelles. Si l’on trouve toujours une certaine raideur au décor métallique de Michael Levine, les costumes de Nicky Gillibrand remplissent leur office de lisibilité (on aime surtout l’extraversion colorée de Papageno et Papagena, et les mutations animalières du monde de la Nuit : Dames peu à peu emplumées, et Monostatos – aux ordres de la Reine – de plus en plus velu) et les lumières de Jean Kalman sont toujours aussi magiques. Certaines images saisissantes font de nouveau mouche : la Reine et son fauteuil roulant manié comme une arme, les Garçons en petits vieillards, les épreuves de Pamina et Tamino immergés dans la vidéo ; d’autres ont été heureusement atténuées (Sarastro n’a plus le look de Lucius Malfoy, et c’est heureux car c’était gratuit) ; d’autres enfin auraient pu l’être… mais assument décidément un humour potache (autour de Papageno).

Musicalement, le plaisir est redoublé. D’abord avec Raphaël Pichon et son Ensemble Pygmalion : dès l’Ouverture, aussi ronde que pulsée, profonde que cursive, et durant toute la soirée ensuite, on admire autant une direction (claire et généreuse, et qui sait l’art difficile des transitions, ici magistrales) qu’un son d’orchestre, où « instruments d’époque » rime avec beauté des timbres, confort velouté des ensembles, équilibre harmonieux des singularités. Tout aussi exceptionnels les choristes de Pygmalion, d’une grande noblesse, puis tous les interprètes (à l’exception du Monostatos de Bengt-Ola Morgny, qui déçoit par manque d’alacrité et de projection), des plus petits rôles (superlatifs Hommes d’armes/Prêtres de Trystan Llyr Griffiths et Geoffroy Buffière) aux protagonistes, où l’on retrouve beaucoup de la distribution 2014. Stanislas de Barbeyrac renouvelle son Tamino idéal (stylé, souple, nuancé mais ferme: un prince !), Mari Eriksmoen sa Pamina délicate et sensible, Kathryn Lewek sa Reine percutante et effrayante ; Thomas Oliemans, auquel on aimerait plus de vigueur dans l’élocution, est un Papageno joueur et sa Papagena (Lilian Farahani) croque la vie et son chant avec gourmandise ; Dimitry Ivashchenko a les graves abyssaux de Sarastro mais pas complètement la ligne marmoréenne qu’on y attend, contrairement à l’Orateur de Christian Immler d’une dignité de phrasé qui force le respect ; délicieux Garçons du Knabenchor de la Chorakademie de Dortmund et remarquables Dames, parfaitement castées pour leurs trois timbres complémentaires, de Judith van Wanroij, lumineuse et pétulante, Rosanne van Sandwijk, plus charnelle, et Helena Rasker, dont on admire le beau chant profond.

Une Flûte qui enchante, fait rire, émeut et passe sans longueur : un petit miracle destiné à se reproduire pour six représentations encore…

C.C.

A lire : notre édition de La Flûte enchantée / L'Avant-Scène Opéra n° 196


Lilian Farahani (Papagena) et Thomas Oliemans (Papageno).
Photos : Pascal Victor - artcompress