Régulièrement repris à Munich depuis 2006 et donné au Bolchoï en 2013, Le Vaisseau fantôme de Peter Konwitschny est un spectacle saisissant, à la direction d’acteurs brillante et qui laisse de très fortes impressions. Rarement aura-t-on montré de façon aussi éloquente comment le Hollandais appartient à un autre monde que le nôtre. Au premier acte, les deux navires sont suggérés par deux passerelles, l’une moderne et l’autre semblant provenir des gravures de Gustave Doré pour La Complainte du vieux marin de Coleridge. Les hommes de Daland portent des costumes contemporains tandis que ceux du Hollandais sont vêtus à la mode de Rembrandt ou de Hals. Changement radical d’atmosphère au deuxième acte, où les fileuses deviennent de jeunes sportives qui pédalent sur des vélos stationnaires dans une salle de gym. Ce qui peut sembler quelque peu saugrenu a priori s’avère en fait extrêmement efficace et forme un tableau très coloré ; seule l’apparition d’Erik en peignoir blanc détonne un peu. Au cours du duo entre Senta et le Hollandais, ce dernier sort de sa valise une robe de mariée du XVIIIe siècle aux couleurs passées qu’il déploie et dont se pare fièrement sa fiancée. Lors de la fête du dernier acte, les matelots du vaisseau fantôme sont assis côté cour et sont inanimés jusqu’à ce que, provoqués par les Norvégiens, ils se déchaînent en une scène véritablement terrifiante. La fin de l’œuvre nous réserve les plus grandes surprises : sensible aux arguments d’Erik, Senta refuse de suivre le Hollandais et fait exploser les barils se trouvant dans l’entrepôt où se déroule le tableau. Après la déflagration, l’orchestre se tait et c’est un enregistrement à peine audible qui nous permet d’entendre les dernières mesures de la partition. Une conclusion aussi radicale, où l’idée de rédemption semble éliminée, est certes déconcertante, mais nous amène à nous interroger sur cette notion éminemment wagnérienne, le sacrifice de la femme qui permet le salut de l’homme.

Nouvelle venue des scènes lyriques, Elena Stikhina est une révélation majeure. Alliant fraîcheur du timbre, puissance, aigus rayonnants, endurance et intelligence musicale, la soprano russe est tout simplement prodigieuse en Senta. En plus d’une voix exceptionnelle, elle joue avec un parfait naturel et possède de surcroît un physique de mannequin. C’est à juste titre que le public munichois lui réserve un accueil follement enthousiaste. Face à une telle interprète, le Hollandais de Wolfgang Koch pâlit un peu, même s’il ne démérite pas. La voix se détimbre souvent dans les passages doux et le grave manque vraiment de solidité. Cela dit, il semble se ménager pour le troisième acte, qui le trouve dans une forme superlative. Plus constant, Franz-Josef Selig campe un Daland cupide à souhait et à la projection parfaitement sonore. Excellente voix en ce qui concerne Okka von der Damerau, Mary très amusante dans son rôle d’entraîneuse sportive. On est moins bien servi en ce qui a trait aux ténors : Erik à la voix nasillarde et peu raffiné de Tomislav Mužek et Pilote assez faible de Dean Power. Sous la direction de Bertrand de Billy, les chœurs et l’orchestre font honneur à l’Opéra d’État de Bavière. Les voix masculines sont particulièrement impressionnantes et l’orchestre – le pupitre des cuivres notamment – atteint à une perfection et une force expressive peu communes. Ce Vaisseau fantôme augure bien du Festival d’été de l’Opéra de Munich.

L.B.

A lire : notre édition du Vaisseau fantôme / L’Avant-Scène Opéra n° 30


Photos : Wilfried Hösl