Photos : Jean-Louis Fernandez.

Après la tentative peu convaincante de l’Opéra de Paris, en octobre dernier, c’était au tour de Lyon de proposer la version française de Don Carlos. Un spectacle de plus de quatre heures basé sur l’édition de 1867, qui tente de revenir aux intentions premières du compositeur, rétablissant de nombreuses coupures tels le duo d’Eboli et d’Elisabeth au IVe acte ou le morceau d’ensemble qui précède le dénouement, et réussit à redonner ainsi une véritable cohérence dramaturgique à l’œuvre de Verdi.

L’approche qu’en propose Christophe Honoré, devenu en l’espace de quelques saisons un véritable artiste « maison », est pour le moins déconcertante. Décalée parfois jusqu’à la provocation, elle ne se veut ni tout à fait historicisante ni vraiment transposée mais plutôt suggestive et comme esquissée. Le plateau quasiment nu est plongé dans la pénombre jusqu’à rendre visages et costumes indistincts et ne s’éclaire que pour le tableau des jardins de Saint-Just, hélas d’une insigne laideur, et l’apparition d’une Eboli en fauteuil roulant, bizarrement affligée d’un handicap qui ne prendra tout son sens que dans les dernières scènes. Si le ballet de la Peregrina a été partiellement maintenu, c’est semble-t-il pour en faire un moment de malaise et de dérision, d’abord avec des courtisans titubants puis quatre danseurs se contorsionnant sous une pluie battante, comme une préfiguration de l’autodafé à venir ou un symbole des peuples asservis de l’Empire de Charles Quint. D’un tableau à l’autre, les espaces sont gérés par un jeu de rideaux qui rend la proposition plus conceptuelle encore et il faut attendre le troisième acte pour voir apparaître le premier décor construit, une tribune frontale à trois étages ou le Clergé domine le Roi qui lui-même surplombe le Peuple. Elle sera restructurée avec beaucoup d’à-propos pour le tableau du cabinet du Roi.

D’évidence, de ce grand opéra atypique le metteur en scène a voulu donner une vision intimiste, adaptée aux dimensions d’une salle moyenne, en privilégiant la caractérisation des personnages et leur drame personnel plutôt que la dimension politique et spectaculaire. Il y réussit magnifiquement grâce à une direction d’acteurs et un sens du climat qui compensent les quelques errements esthétiques des premières scènes. On n’est pas près d’oublier la mort de Posa où l’impossibilité de Carlos à lui saisir la main révèle toute la faiblesse et la pusillanimité du personnage.

D’un plateau lui aussi entièrement cohérent et homogène, on n’exceptera que l’Elisabeth de Sally Matthews dont l’aigu puissant ne parvient pas à compenser le vibrato large qui fait paraître son personnage beaucoup trop mature, et qui ne trouve enfin la juste tonalité du rôle que dans le tout dernier tableau . Face aux exigences spinto de Carlos, le ténor lyrique de Sergey Ramanosky semble parfois à la limite de ses possibilités, mais il le compense largement par une diction claire et une ligne de chant ductile doublée d’une authentique sensibilité. Le mezzo brillant de Ève-Marie Hubeaux ne fait qu’une bouchée de la Chanson du voile mais paraît un peu en difficulté avec la tessiture nettement plus aiguë du « Don fatal ». Il n’importe, sa composition en infirme frustrée et vindicative et la netteté de son français emportent tous les suffrages. Superlatif également le Posa magnifiquement timbré, élégant et passionné de Stéphane Degout qui, pour son premier rôle verdien, s’impose comme l’égal des meilleurs. Inégaux mais captivants, les deux basses italiennes Michele Pertusi (Philippe) et Roberto Scianduzzi (le Grand Inquisiteur), le premier un peu envahi par la grisaille et le second, malgré une belle profondeur de timbre, légèrement déstabilisé dans le duo où ils s’affrontent. Un chœur et des comprimari de très haut niveau, un orchestre impeccable à quelques défaillances près des cors (sans doute imputables à leur placement dans une fosse surchargée), tous contribuent sous la direction magistrale de Daniele Rustioni au triomphe d’un spectacle de haute tenue qui constitue sûrement l’une des plus fortes réalisations de cet opéra depuis la fameuse production du Châtelet en 1996. 

A.C.

A lire : Don Carlos / L’Avant-Scène Opéra n° 244