Kate Colebrook, Majdouline Zerari (la Reine), Jeanne Crousaud (la Princesse) et Jean-Jacques L'Anthoën (le Roi).

 

L’opéra ne semble plus guère aujourd’hui inspirer aux compositeurs ni hostilité ni même suspicion, et bon nombre des réfractaires chroniques s’y sont mis. De façon prévisible, ce genre s’est ouvert à des formulations diversifiées qui posent parfois en creux la question de sa définition. La Princesse légère de la compositrice colombienne Violeta Cruz est indubitablement un opéra, mais on pourra aussi y entendre un conte musical. Le livret de Gilles Rico d’après le conte éponyme de George MacDonald laisse une large place à la parole – celle du narrateur mais aussi celle des personnages eux-mêmes – et, bien que le chant y soit aussi largement présent, il y paraît par moment dilué dans une narrativité qui, malheureusement, ne tient pas lieu de dramaturgie. Plusieurs scènes (notamment « Je pars », où le Roi rechigne à rendre visite à sa sorcière de sœur, « C’est une bonne chose », où les époux royaux tentent de se résigner à la « perte de gravité » de leur fille, ou encore l’arrivée des deux docteurs) s’éternisent. Le rapport entre voix parlée et voix chantée n’est pas toujours évident, mais c’est surtout le manque patent de rythme qui distend le spectacle. Peut-être est-ce la mise en scène en tandem de Jos Houben et Emily Wilson qui est à l’origine de son déploiement dans de trop nombreuses directions, peut-être aussi leur volonté commune de recueillir dans une « écriture de plateau » les idées des uns et des autres.

Comme par mimétisme, Violeta Cruz opte elle aussi pour une écriture stylistiquement éclatée. Sections confiées exclusivement – comme la brève introduction – ou majoritairement aux percussions, boucles, tonalité avérée qui semble se référer à Ravel, à Poulenc et même à Offenbach (« C'est la jolie fille du roi »), impressionnisme, matériau plus bruitiste, swing avec figure de « chabada » ou électronique à tendance environnementale, ces scènes de genre, bien qu’assez efficaces, tendent à enfermer une bonne partie de la musique instrumentale dans un rôle illustratif. Le recours récurrent au principe de la pagaille contrôlée des voix et percussions semble répondre quant à lui à un burlesque scénique un peu trop systématique. L’énergie souple qu’induisent Jean Deroyer et les musiciens de l’Ensemble Court-Circuit ne compense que partiellement cette sensation d’éparpillement, d’autant que certains des instrumentistes sont par moments invités à passer sur scène, ce qu’ils font avec plus ou moins de naturel et pour un bénéfice tout sauf évident.

L’écriture vocale est bien plus convaincante et, même si la compositrice a copieusement exploité le rire de la Princesse – ce qui est certes une façon de mettre en valeur l’agilité de la soprano Jeanne Crousaud et ses volutes vocalistiques s’envolant avec aisance vers le contre-ré –, on apprécie certaines astuces comme l’air du Prince (« Tous les jours, toutes les nuits ») entièrement écrit sur deux notes. En dépit d’une certaine tension vocale, Jean-Jacques L’Anthoën montre une belle prestance scénique et ses duos avec la Princesse ont belle allure. Concernant le recours à l’anglais pour ce Prince d’humeur polyglotte, on préférera présumer que l’insistance du duo sur un « falling in » prononcé « fô-lin-guine » est le fruit d’une intention comique. Le couple royal incarné par Nicholas Merryweather – qui prononce quant à lui très bien le français – et Majdouline Zerari est d’une appréciable homogénéité, tant pour le chant que pour la belle projection de la parole et la présence scénique. Ce sont finalement les petits ensembles vocaux qui nous valent les plus beaux moments. On regrette cependant une nette disparité de la sonorisation des voix, qui occasionne pour cette production lilloise plusieurs déséquilibres – entre les chanteurs, avec les voix parlées, avec les instruments en fosse et parfois même avec l’électronique. Cette dernière, en tant que spécialité de la compositrice, aura pu, en dépit de quelques moments plus denses et joliment spatialisés, laisser les auditeurs sur leur faim.

Même si l’on sait gré aux concepteurs de ce spectacle musical destiné aux familles, et donc aussi aux enfants, de ne pas avoir opté pour un simplisme réducteur et d’avoir préservé un bel alliage poético-philosophique, il est fort probable qu’un timing plus resserré aurait favorisé sa dimension onirique. Du 9 au 11 mars, il sera possible de se faire une opinion à l’Opéra-Comique qui, s’il a laissé à l’Opéra de Lille la primeur de la création, est avec l’Ircam le commanditaire de la pièce.

P.R.


Jeanne Crousaud (la Princesse) et Kate Colebrook.
Photos : Stefan Brion - Opéra-Comique 2017.