Marysol Schalit (Gretel, de dos) et Yete Queiroz (Hansel, de profil)

Les petits Lorrains ont eu ce Noël la même chance que leurs voisins Germains, de se laisser enchanter par un opéra écrit pour eux. Bien préparés dans les écoles, certains ont eu le privilège de voir exposer dans le foyer du Grand Théâtre (on dit aujourd’hui Opéra national de Lorraine) des maisons en pain d’épices, galettes, meringues biscuits et sucreries qu’ils avaient confectionnées, et à côté desquelles le kit vendu par Ikea ressemble davantage à une cabane à lapins qu’à la demeure de la Sorcière.

Autre bonheur : cette production venue d’Angers Nantes Opéra ne cherche qu’à leur plaire. Certes, dans le programme, Emmanuelle Bastet ne manque pas de rappeler que la pauvreté, la malnutrition, l’exclusion sont des drames d’actualité, et que « c’est l’idée insupportable de la faim qui prévaut dans cette œuvre », mais sa mise en scène n’essaie pas de le démontrer. Les enfants logent à la belle étoile sous un îlot de réverbères (qui deviendront des arbres au tableau suivant), jouent dans des containers à ordures visiblement passés au Karcher, leur mère fouille les poubelles publiques sans y trouver à manger (en dépit des réalités de la rue) et, à l’entracte, pour sensibiliser les gourmands et les soiffards, l’éventualité d’un buffet vidé au profit des Restos du cœur ne semble pas avoir été envisagée. Enfin, à la sortie, une distribution de pain d’épices assure aux moins de 13 ans que la famine ne menace pas les ci-devant sujets du bon roi Stanislas.

La Morale et l’Art ne pouvant rien l’un pour l’autre, tout est bien ainsi. En ces temps de dénonciations souvent légitimes, parfois abusives, le Père qui roule sur la Mère pour lui faire partager sa joie de rapporter des victuailles (avant de le lui dire) choque d’autant moins qu’Hansel et Gretel l’ont fait avant eux ; et la petite fessée que la gamine administre à son frère semble, à l’heure qu’il est, plus admissible que l’inverse.

Mais la vraie trouvaille de cette mise en scène, une fois soulignée la qualité d’une direction d’acteurs aussi fluide qu’inventive, puis l’heureuse conjonction entre la progression du conte et celle des décors de Barbara de Limburg (subtilement éclairés par François Thouret) – depuis la grisaille brumeuse initiale jusqu’aux couleurs bourgeoisement pétantes du living-bonbonnière-cuisine de la Sorcière en passant par l’éveil de la forêt à l’aurore –, la vraie trouvaille, donc, qui fait oublier la lâcheté du rythme dramatique, c’est la présence de comédiens mimant les chats perdus visiteurs de poubelles à la fin du premier tableau puis les animaux des bois – qu’on verra même errer dans la salle à l’entracte–, et surtout l’adjonction d’un matou dans l’antre de la Sorcière (aux allures de Queen Elisabeth II puis de cougar hollywoodienne), lequel, faisant équipe avec sa maîtresse, focalise l’attention par ses initiatives.

La distribution de bon niveau est dominée par Josef Wagner, superbe baryton-basse autrichien (le Père), Yete Queiroz, Hansel bien en voix aux allures d’Harry Potter, et la lumineuse Marysol Schalit (Gretel) ; peut-être souhaiterait-on que la Sorcière de Carole Wilson force encore davantage la note et que, seul personnage « adulte » de l’ouvrage, la Mère (Deirdre Angenent) trouve des accents plus émouvants. Ce sont des détails que la réussite d’ensemble efface de la mémoire. Un coup de chapeau au Chœur d’enfants du Conservatoire régional du Grand Nancy et à l’Orchestre symphonique et lyrique qui, sous la direction avisée de Thomas Rösber, ont rendu globalement justice à une partition tissée de contrepoints délicats.

Gérard Condé

A lire : Hänsel et Gretel / L’Avant-Scène Opéra n° 104

Carole Wilson (la Sorcière)

Photos : C2IMAGES