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Pietro Spagnoli (Don Magnifico), Lauren Margison (Clorinda), Rose Naggar-Tremblay (Tisbe), Juan José De León (Ramiro) et Vito Priante (Dandini)

Coïncidant avec le bicentenaire de l’œuvre, cette Cenerentola de l’Opéra de Montréal est la reprise de la célèbre production de Joan Font créée à Houston en 2007, puis filmée par Decca l’année suivante au Liceu de Barcelone avec Joyce DiDonato et Juan Diego Flórez. Jubilatoire, colorée jusqu’à l’exubérance et  pleine d’une fantaisie illustrant à merveille la version rossinienne du conte de Cendrillon, cette mise en scène est un ravissement pour l’œil. En plus de fort bien diriger les solistes, qui constituent les diverses composantes d’une mécanique savamment huilée, Font sait faire bouger le chœur masculin, en grande forme vocale au demeurant, dont il exige une discipline digne d’un corps de ballet. Aux personnages habituels de l’intrigue viennent ici se greffer six souris désopilantes qui sont bien plus que de simples témoins de l’intrigue : complices omniprésentes de Cenerentola, elles interagissent constamment avec les personnages, manipulent de nombreux accessoires et finissent même par accaparer un peu trop l’attention des spectateurs...

Familière du rôle-titre, Julie Boulianne est une belle interprète d’Angelina, au superbe timbre sombre, sans doute plus convaincante dans l’expression de la résignation que dans l’exultation finale. Si elle maîtrise assez bien l’écriture de Rossini, la folle virtuosité de « Non più mesta » la pousse toutefois dans ses derniers retranchements. À sa décharge, il faut préciser qu’elle et ses collègues doivent composer avec la mauvaise acoustique de l’immense salle Wilfrid-Pelletier, qui ne convient pas à ce répertoire. Entendu plus tôt cette année dans le même rôle de Ramiro au Palais Garnier, le ténor américain Juan José De León fait d’abord montre d’une voix un peu raide et nasillarde, mais se lance bientôt avec fougue dans son rôle de prince amoureux et lance à pleine poitrine des aigus éclatants dans son air du deuxième acte. Le Dandini de Vito Priante est quant à lui un modèle sur tous les plans : style racé, timbre somptueux, vocalises précises, jeu toujours parfaitement juste et sens inné du comique. Lui et Pietro Spagnoli, Don Magnifico bien chantant mais à la voix un peu légère, s’entendent comme larrons en foire, en particulier dans le duetto « Un segreto d’importanza », assurément un des moments les plus réussis de la représentation. Bien que doté d’une voix imposante de basse, Kirk Eichelberger est trop souvent fâché avec la justesse et le sens du phrasé pour véritablement s’approprier le rôle d’Alidoro. À l’inverse, les Tisbe et Clorinda de Lauren Margison et Rose Naggar-Tremblay, toutes deux membres de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal, possèdent de solides voix et semblent beaucoup s’amuser sur scène. À la tête de l’Orchestre Métropolitain, José Miguel Pérez-Sierra étonne d’abord par une ouverture alternant entre lenteur excessive et crescendo pris à un train d’enfer. Pendant presque une heure, il cherche ses marques, manque singulièrement de nerf, puis se ressaisit enfin dans une seconde moitié de spectacle où l’esprit de Rossini retrouve ses droits. En dépit de cette direction d’orchestre pour le moins déconcertante, voilà néanmoins une Cenerentola qui se distingue par ses qualités scéniques et vocales.

L.B.

A lire : notre édition de La Cenerentola, L’Avant-Scène Opéra n° 253.

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Kirk Eichelberger (Alidoro), Lauren Margison (Clorinda), Vito Priante (Dandini), Julie Boulianne (Cenerentola), Juan José De León (Ramiro), Rose Naggar-Tremblay (Tisbe) et Pietro Spagnoli (Don Magnifico)Photos : Yves Renaud.