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Tómas Tómasson (le Monarque), Ian Storey (l'Étranger) et Ausrine Stundyte (Héliane).

Oubliez les fastes de l’opéra symboliste, le lourd décorum des palais néo-byzantins, les damas préraphaélites. C’est dans un univers désertique, au sein d’une humanité en pleine déréliction que David Boesch et son décorateur Christof Hetzer ont décidé de transposer ce Miracle d’Héliane, histoire étrange, quelque peu messianique, d’un étranger venu rendre à la vie un peuple opprimé et qui met en scène rien moins qu’une double résurrection et une fusion amoureuse dans la mort. Il est vrai que la métaphore visuelle de ce paysage dévasté et sans lumière convient assez bien à l’évocation d’un pays hors du temps dont le roi a banni toute joie et où l’amour est considéré comme un délit. Cette esthétique post-apocalyptique qui plaît tant au metteur en scène et que l’on retrouve souvent dans ses productions s’impose donc avec évidence. Même si elle n’est pas toujours des plus flatteuses pour les interprètes, elle réussit à créer un climat fascinant et se révèle une grande réussite visuelle. Chemise de nuit informe, perruque blond filasse et croquenots, l’Héliane d’Ausryne Stundyte est bien loin de l’être surréel et lumineux que décrit le livret, mais il est vrai que l’Etranger en tricot de peau graisseux et le Monarque transformé en chef de tribu barbare dépoitraillé, façon Mad Max, sont à l’unisson de cette vision dont le surnaturel et la dimension mystique ont quasiment disparu. Le seul véritable « miracle » qui demeure est celui de l’amour humain auquel l’héroïne finit par céder et qui transcende la mort dans un finale que le metteur en scène coupe du reste de l’action par un lourd rideau pourpre, isolant à l’avant-scène le couple enfin uni. L’opéra de Korngold et son impossible livret, où passent les réminiscences de Tristan, de Parsifal, de Pelléas et toute l’obscure phraséologie de la littérature décadentiste fin-de-siècle, y gagnent en cohérence psychologique et en intérêt ce qu’ils perdent potentiellement en magie.

Dans le rôle-titre, Ausrine Stundyte paraît souvent à la limite de ses moyens face à l’écriture très tendue d’un rôle qui oscille entre grand lyrique et soprano dramatique ; mais elle fait oublier une projection parfois un peu limitée par sa splendide présence scénique et un lyrisme d’une grande subtilité dans les duos amoureux et dans son grand air de l’acte II « Ich ging zu ihm ». L’Etranger de Ian Storey, outre un physique d’homme plus que mûr là où le texte nous parle d’un jeune homme, manque un peu de charisme mais ne démérite pas vocalement et se retrouve souvent à l’unisson de sa partenaire. Véhément et brutal à souhait, Tómas Tómasson incarne à la perfection son personnage de Monarque plein de culpabilité dont la frustration exacerbe la cruauté. Voix bien timbrée à l’aigu un peu acide, la Messagère de Natascha Petrinsky, transformée en « soldate » fanatique, manque un rien de subtilité. Une mention pour la basse splendide du Finnois Markus Suihkonen dans rôle du Geôlier ainsi que pour le Juge à l’épée de Denzil Delaere, deux membres du Jeune Ensemble de l’Opéra des Flandres, de même que pour l’excellent chœur, invisible jusqu’au troisième acte où il se déchaîne sur le plateau.

Sous la baguette diligente d’Alexander Joel, le rythme de la représentation ne faiblit jamais et les quelque trois heures de l’œuvre passent sans douleur malgré une certaine platitude du propos et une musique dont l’éclectisme, les influences et le goût de l’effet sont parfois grossièrement patents – et dont le meilleur est finalement à trouver dans le caractère presque cinématographique de certaines pages symphoniques, tels les préludes des deuxième et troisième actes.

A.C.


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Tómas Tómasson (le Monarque), Ian Storey (l'Étranger), Ausrine Stundyte (Héliane), Natasha Petrinsky (la Messagère, au fond) et Denzil Delaere (le Juge à l'épée). Photos : Annemie Augustijns.