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Katherine Watson, Hervé Niquet, Karine Deshayes.

 

Il s'appelle désormais Festival de Radio France Occitanie Montpellier et, si les moyens financiers qui lui sont alloués ne vont hélas pas en s'améliorant, ses découvertes titillent toujours autant la curiosité des lyricomanes. Ces derniers pourront d'ailleurs découvrir en replay la plupart des grands rendez-vous du Festival, parmi lesquels des Puritani de Bellini dans leur « version de Naples » (transposée pour Maria Malibran et redécoupée en deux actes) et la trop rare Siberia de Giordano (frappant mélange de vérisme et de lyrisme russe).

Pour notre part, nous avons opté pour un anniversaire : celui des trente ans du Concert Spirituel d'Hervé Niquet, fêtés par un Opéra imaginaire à base d'ouvrages français des XVIIe et XVIIIe siècles. En 2005, Marc Minkowski avait déjà proposé au disque (Archiv) une Symphonie imaginaire de Rameau, juxtaposant uniquement des pages instrumentales du compositeur dijonnais. La proposition de Niquet est plus complexe : aux extraits d'opéras de Rameau (Hippolyte et Aricie, Dardanus, Le Temple de la Gloire, etc.), Charpentier (Médée), Lully (Armide) et Marais (Alcyone), elle accole des passages d'œuvres plus confidentielles (Jephté de Montéclair, Titon et l'Aurore de Mondonville, Pyrame et Thisbé de Francœur, Scylla et Glaucus de Leclair), ainsi que des pages jamais ouïes d'auteurs tantôt célèbres (Campra), tantôt méconnus (Bertin de la Douée, Stuck, Colin de Blamont, Royer, etc.). On découvre ainsi tel éblouissant duo pour dessus extrait d'Achille de Déidamie de Campra, tel puissant monologue venu du Scanderberg de Francœur ou telle jolie aria avec hautbois obligé extraite du Jugement de Pâris de Bertin de La Douée. L'ensemble a été cousu de façon à tramer un récit semblable au canevas de bien des tragédies lyriques : un couple princier voit son amour traversé par les manigances d'une reine magicienne. Et, sans même jeter un œil au synopsis proposé par le programme de salle, on suit sans peine l'aventure qui nous mène de combats en tempêtes, de tremblements de terre en manifestations infernales, de déploration en transports amoureux. Les trente-cinq fragments s'enchaînent avec fluidité, au point que parfois la césure est à peine audible (par exemple entre le chœur d'Enée et Lavinie et la « descente de Diane » d'Hippolyte et Aricie), même si la grande variété des styles réjouit l'amateur. Petit regret : on notera la prépondérance des scènes telluriques et martiales sur le genre pastoral, la notable absence des « rossignols » et de la traditionnelle scène du Sommeil.

C'est sans doute que le grandiose et le sombre conviennent mieux au Concert Spirituel, dont cette production magnifie les qualités sans en gommer les faiblesses. Parmi ces dernières, un certain manque de fini, un côté toujours un peu brouillon, particulièrement chez le chœur assez imprécis lors de son entrée fracassante (« Timbales et trompettes » venu d'Achille et Déidamie de Campra). Le caractère parfois hâtif de la direction de Niquet se sent moins ici que d'habitude, à une exception près: comme on regrette qu'il prenne si vite la magnifique scène d'Hypermnestre de Gervais (merveilleuse succession de récits et de « petits airs », close sur un duo avec chœur), où, pour la première et unique fois, le récitatif fait son apparition! Cette peur d'ennuyer, heureusement, n'habite pas le chef en permanence : par exemple, le prélude à l'acte IV de Scylla et Glaucus, péremptoire chez Gardiner, devient, sous sa baguette, purement sensuel (à l'instar des danses extraites des Fêtes d'Hébé). Quant au Chaos de Rebel, aux séismes de Marais, aux scènes funèbres du sublime Hercule mourant de Dauvergne, ils sont magnifiquement réussis par un Concert Spirituel aux phrasés intenses, presque animaux, et aux couleurs accusées (beaux violoncelles et bassons).

Côté voix, l'astre masculin fait pâlir les étoiles féminines : une fois de plus le ténor/haute-contre Reinoud van Mechelen nous bouleverse par son élocution superlative, ses aigus glorieux et son bas-registre désormais mieux assis, auxquels il faut adjoindre la vaillance réclamée par ses deux monologues de Dardanus. Karine Deshayes et Katherine Watson déçoivent, en revanche, particulièrement du côté de la diction. Peut-être fatiguée par ses récents Puritains, la première nous vaut quelques glorieux éclats belcantistes, mais l'émission sonne brumeuse, peu centrée, particulièrement dans le médium. Watson vocalise et phrase à ravir mais le timbre manque d'éclat et l'émission de tranchant.

Ajoutons que la soirée se voyait agrémentée de projections dues au jeune concepteur vidéo Anthony Rubier : paysages et scènes fantasmatiques – inspirées aussi bien de l'esthétique versaillaise que des ruines mayas, hindous ou crétoises – sont explorés sous tous les angles par une caméra virtuelle. Venu du jeu vidéo (particulièrement des « jeux de civilisations »), ce procédé peut faciliter l'immersion du spectateur dans l'univers onirique évoqué par la musique française. Mais ce qui paraît foisonnant sur petit écran accuse une certaine pauvreté sur le grand, d'autant que la réalisation a été confiée à un seul dessinateur. Une piste à explorer, néanmoins...

O.R.


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Reinoud van Mechelen et Hervé Niquet.Photos : Luc Jennepin.