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Nahuel di Pierro (Leporello), Eleonora Buratto (Donna Anna), Philippe Sly (Don Giovanni) et Isabel Leonard (Donna Elvira).

 

On n’avait pas aimé le Don Giovanni mis en scène par Dmitri Tcherniakov à Aix voici sept ans (et repris en 2013). Force est de constater qu’il offrait au moins un point de vue puissant et scénographiquement très tenu, ce qui n’est pas le cas de la nouvelle production de l’opéra confiée cette année à Jean-François Sivadier.

Le quatrième mur aboli, le spectacle « en train de se faire » avec interprètes-personnages in progress, le vaste espace central, nu et ouvert pour mieux s’offrir à la structure éclatée et imprévisible de l’opéra : autant d’options déjà vues, chez Sivadier même ou ailleurs, potentiellement fertiles mais utilisées ici dans une dilution visuelle et théâtrale de l’action, du jeu et des corps. De bonnes idées (le traitement fusionnel de Giovanni-Leporello, la présence tôt intégrée de la camériste d’Elvira, « giovin principiante » idéalement trouvée, des moments de corps-à-corps ou de buffa très soigneusement chronométrés) voisinent avec une agitation et un remplissage du plateau qui peinent à focaliser le regard et l’esprit et aggravent plus qu’ils ne la contrepointent la complexité de l’action. Pointent alors l’ennui et le regret d’un superflu permanent qui, une fois arasé ou recentré, aurait certes donné du beau théâtre. « Beaux » d’ailleurs sont tout à la fois les costumes de Virginie Gervaise – s’épanouissant dans la matière des vêtements historiques, dans leurs couleurs denses et terriennes, mais aussi dans des vêtements contemporains à l’harmonie douce –, les lumières de Philippe Berthomé – dont les ampoules de verre coloré créent une atmosphère à la fois festive, circassienne et onirique – et tous les interprètes, de cette beauté qui naît d’un jeu sincère et vivace : le public y trouve matière à adhésion et fait une fête à la production.

Car le plateau joue le jeu et rivalise de présences juvéniles – avec pour revers une juvénilité des voix qui affiche de bien petits formats en regard de ce que l’on espérerait. Annoncé souffrant le soir de la deuxième (sa méforme avait déjà été signalée à l’issue de la première), Philippe Sly est à l’évidence en-dessous de ses moyens et marque les passages les plus endurants, sans pour autant économiser son énergie dramatique : sa silhouette mince, son tempérament et le dessein de Sivadier en font un Giovanni singulier et inhabituel, léger et vif-argent, ado tout fou terminant en nu christique (c’est là qu’on le trouve le plus intéressant). On regrettera qu’à aucun moment il n’apparaisse pour ce qu’il devrait être aussi : sensuel, séducteur, prédateur. Nahuel di Pierro compose un Leporello roublard et sympathique, voix tonique autant que l’œil qui frise et le geste qui jaillit : une vraie nature scénique. Plus que le Commandeur de David Leigh, solide mais sans véritable aura, on apprécie le Masetto inattendu de Krzysztof Baczyk qui parvient à insuffler une vraie tension noire à son personnage et un réel caractère ; il faut dire que sa Zerlina est une perle, délicieuse Julie Fuchs au Mozart délié et raffiné, magnifiquement balancé par un jeu d’une drôlerie frondeuse et burlesque : a-t-on jamais vu « Batti, batti » aussi riche de sous-entendus et transformé en show stopper ?! Elle en dame le pion à Eleonora Buratto, Anna sans défaut sinon une présence un peu lisse à l’instar de ses gammes, et à Isabel Leonard, Elvira de beau tempérament vocal mais dont le personnage peine à trouver ses marques (premier, second degré ?) dans cette proposition peu lisible – même le finale semble laisser les personnages en quête de ce qu’ils doivent exprimer. En Ottavio, Pavol Breslik affiche son chant châtié habituel mais semble moins à l'aise qu'à l'habitude. Tous sont amoureusement portés par la baguette élégante de Jérémie Rhorer, dont on peu regretter qu’il laisse s’installer un hiatus gênant entre récitatifs précipités et tempi parfois étales. Que Le Cercle de l’Harmonie ne « sonne » pas n’est pas à lui imputer, tant l’acoustique de l’Archevêché et sa fosse sont impropres à révéler ses subtilités de touche et de teintes, au point hélas d’enrober de ouate les accords tragiques de l’Ouverture.

Une soirée de fins musiciens, mais sans dramma et presque sans giocoso… Vivement le prochain Don Giovanni.

C.C.

Notre édition de Don Giovanni : L’Avant-Scène Opéra n° 172.


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Philippe Sly (Don Giovanni) et David Leigh (le Commandeur). Photos : Pascal Victor.