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On peut compter sur l'Opéra des Flandres pour toujours proposer des versions non conventionnelles des grands titres du répertoire. La production de La Flûte enchantée de David Hermann ne déroge pas à la règle et avait du reste était très contestée à sa création in loco en 2012.

Sa vision radicale fait fi des attendus basiques du livret. La flûte magique du titre a disparu, et avec elle le glockenspiel de Papageno. Ils ont été remplacés par un revolver et une ceinture de munitions. Si quelques passages fonctionnent un peu moins bien (l’enchantement des animaux et des esclaves, l’appel final de Papagena), le metteur en scène y trouve une ressource de taille pour aller jusqu'au bout de sa lecture. La scène des épreuves est transformée en un jeu de roulette russe dont un des prêtres, devenu ici un des hommes de main de Sarastro (représenté comme un grand fermier sudiste), sera la première victime. C'est avec ce même revolver qu'après avoir voulu se suicider Papageno descendra le second homme de main qui voulait lui retirer Papagena, et que Tamino abattra Sarastro avant de s'enfuir avec Pamina vers un monde nouveau – dans celui de la génération précédente ne régnait que chaos, violence et humiliation. Le chemin vers soi que représente l'initiation est clairement donné dès la première scène comme celui de l'accession au statut d'être humain. C'est d'évidence sa propre bestialité que Tamino fuit dans ces souterrains humides et que concrétise l'apparition d'un Papageno-mutant simiesque toujours en fureur, qui devra accepter une femme handicapée pour devenir tout à fait un homme. On n'en finirait pas de détailler les idées fortes ou incongrues qui progressivement construisent une vision étonnante du chef d'œuvre mozartien. Même quand elles frisent le scabreux, elles se révèlent souvent d'une incroyable pertinence quant au sens profond des situations. Ainsi de « In diesen heil'gen Hallen » où Sarastro prend un bain sous les yeux de Pamina qu'il amène, à la fin de la scène – du moins le comprend-on – à toucher son sexe dans la baignoire. Secondé par un jeu de décors étonnamment expressifs qui lui permet de reconstruire subtilement la dramaturgie à travers un enchaînement non conventionnel des scènes, aidé par un véritable travail de réécriture des dialogues originaux, le metteur en scène nous mène où il veut aller, ne négligeant pas quelques touches d’un humour noir et grinçant et actualisant de façon magistrale les enjeux de l'œuvre.

Dans une distribution de haut niveau, on retient le puissant Sarastro d'Ante Jercunica, déjà remarqué en Landgrave de Tannhäuser ici même en 2015, la Reine de la nuit au timbre corsé et aux aigus brillants de Hasmik Torosyan, le Papageno chaleureux de Josef Wagner ainsi que la très pure Pamina de Mirella Hagen. Annoncé souffrant, Adam Smith se battra pendant toute la représentation avec un passage et des aigus rebelles, ne pouvant offrir à Tamino que sa belle prestance. Impressionnant de cohésion, le chœur restera perché dans les hauteurs, invisible au delà de la fameuse scène de l'appel à la nuit, de même que l'Orateur perdu dans les feuillages de cette forêt censée représenter les trois temples. Quant aux Enfants, ils sont figurés sur scène par trois marionnettes de castor manipulées à vue, sans doute en vue de réintroduire un peu d'enfance et de joie dans un univers terriblement sombre. Jan Schweiger, chef titulaire des Chœurs de l'Opéra des Flandres, dirige de main de maître une version tantôt grandiose, tantôt vivement animée de la partition et contribue brillamment à ce spectacle, certes parfois dérangeant mais toujours stimulant et qui finit par s'imposer dans sa totale cohérence, sa profondeur et ses qualités esthétiques, au delà des réserves qu'un certain « purisme » pourrait éventuellement lui opposer. Du très grand art.

A.C.

La Flûte enchantée : L’Avant-Scène Opéra n° 196


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Photos : Annemie Augustijns.