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Monique Young (Peggy Sawyer).

 

Pour sa dernière saison au Théâtre du Châtelet, qui est aussi la dernière avant une fermeture pour travaux prévue jusqu’en 2019, Jean-Luc Choplin clôt sa programmation de musicals avec une œuvre fétiche du genre, 42nd Street. Comme Singin’ in the Rain, c’est un backstage musical – dont l’intrigue se déroule dans les coulisses d’un show en préparation. Et comme lui, ce fut un film (Lloyd Bacon, 1933) avant de devenir un succès de Broadway (1980). Les chansons de Al Dubin (lyrics) et Harry Warren (musique) multiplient les pépites vitaminées, tout comme le livret de Michael Stewart et Mark Bramble qui fait mouche à coups de répliques vives et drôles et de scènes brèves, prestement enchaînées. L’action croque des personnages incarnant le mythe de Broadway, la magie du théâtre autant que sa précarité et sa « famille » : du producteur possessif au metteur en scène inquiet pour la survie de son projet, du chorégraphe aux artistes, tous ne vivent que pour le show à naître.

42nd Street étant le royaume du tap dance, on sort revigoré par des claquettes virtuoses, joyeuses et communicatives, portées par une troupe de haut vol. On a plaisir à retrouver des artistes croisés dans Singin’ in the Rain, à commencer par le chef Gareth Valentine : Dan Burton (point commun entre Don Lockwood et Billy Lawlor : deux séducteurs un rien fats mais si charmeurs !), Emma Kate Nelson (qui retrouve en Annie le naturel comique qu’avait sa Lina) ou Jennie Dale (aussi explosive en duettiste fantaisiste ici qu’en professeur de diction l’an passé). La meneuse de revue en fin de carrière (Ria Jones, belting voice en bandoulière et moments d’émotion réels) doit céder sa place à une jeune débutante dont ce sera le coup de chance : dans le rôle de Peggy Sawyer, ingénue au talent miraculeux, Monique Young emporte l’adhésion, à l’exact mitan de la grâce et du panache.

Pour cette nouvelle production, le chorégraphe Stephen Mear rend hommage à une prestigieuse tradition : le film chorégraphié par le grand Busby Berkeley obtint l’Oscar 1934 du meilleur film, le musical de 1980 reçut les Tony Awards 1981 du meilleur musical et de la meilleure chorégraphie – elle était signée (comme la mise en scène) de Gower Champion, qui mourut le jour de la première. Mear trouve sa singularité dans une tonicité, une rapidité incroyablement modernes, des ruptures de rythmes (et de pas) renouvelant la surprise et l’intérêt. Il s’est également fait metteur en scène, organisant fluidement les « plans serrés » et les tableaux spectaculaires – la scénographie de Peter McKintosh éclabousse de couleurs et son décor new-yorkais, sorte de contre-plongée panoramique et dressée vers le firmament des gratte-ciel, reste dans l’œil et l’esprit.

Après le dernier grand finale, le musical n’est pourtant pas fini. Il reste au personnage de Julian Marsh (Alexander Hanson, tout en digne sobriété) à voir la nuit s’emparer du plateau où son show vient de triompher. Soudain le décor s’envole, révélant les coulisses du théâtre et laissant le metteur en scène disparaître, seul, dans la pénombre. On songe alors à ce Capriccio mis en scène par Robert Carsen qui, en 2004, avait signé le départ d’Hugues Gall de l’Opéra de Paris : un décor aussi s’envolait, des coulisses se révélaient, la fiction croisait la réalité et La Roche semblait l’ombre de Gall… Stephen Mear a offert à Jean-Luc Choplin (nommé directeur du Châtelet en… 2004) son Capriccio et son La Roche, de la façon la plus évidente qui soit : avec un Julian Marsh ayant réussi son pari fou et un 42nd Street qui marque l’apothéose d’une aventure intitulée Lullaby of Châtelet.

C.C.


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Photos : Théâtre du Châtelet / Marie-Noëlle Robert.