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Geneviève Lévesque (Zita), Gregory Dahl (Gianni Schicchi), Carole Cyr (La Ciesca) et Marie-Michèle Roberge (Nella).

 

Pour sa production automnale, l'Opéra de Québec a retenu les deux derniers volets du Triptyque de Puccini, qui composent un spectacle fortement contrasté à tout point de vue.

Si Suor Angelica ne satisfait pas pleinement, la faute en est moins imputable à l'esprit quelque peu saint-sulpicien de l'ouvrage qu'à l'interprète du rôle-titre, Gianna Corbisiero, qui s'avère nettement sous-dimensionnée. En raison d'une voix pauvre en harmoniques qui n'arrive pas à se déployer dans les amples phrases lyriques de Puccini et d'une palette de couleurs par trop limitée, elle ne peut traduire l'intensité de la colère face à sa tante, le désespoir bouleversant de « Senza mamma » ou le délire extatique final – pendant lequel elle demeure d'ailleurs curieusement muette, omettant les exclamations si expressives prévues par la partition. On s'étonne aussi de la suppression de la courte scène au cours de laquelle Angelica, pleine de compassion, donne des herbes pour soigner une religieuse attaquée par des guêpes, et qui révèle sa connaissance des herbes médicinales. 

Cette erreur de distribution est d'autant plus regrettable que, outre la précision du chœur et la grande qualité de presque tous les personnages secondaires, on tient avec Sonia Racine une Princesse exceptionnelle. Grâce à la somptuosité de son timbre, sa projection parfaite, son intelligence musicale et ses talents innés de comédienne, elle est sidérante en vieille aristocrate campée sur ses positions morales. Insensible à la souffrance de sa nièce qui, prostrée, vient d'apprendre la mort de son enfant, elle jette sur le sol avec sa canne les documents qu'Angelica doit signer, puis se retire lentement, drapée dans sa froide dignité. Un superbe moment de théâtre et de chant.

Quant à Gianni Schicchi, chapeau bas ! Moyennement inspiré par l'atmosphère de Suor Angelica, le metteur en scène Michael Cavanagh se déchaîne littéralement dans la comédie, où il imagine un véritable ballet réglé au quart de tour dans lequel les membres de la famille Donati sont carrément survoltés et d'une drôlerie irrésistible. De façon fort ingénieuse, les éléments de décor (emprunté au Chautauqua Opera) ayant servi à évoquer le monastère forment les murs de la maison de Buoso Donati ; on n'est pas ici à l'époque de Dante, mais plutôt en octobre 1945, ainsi que le précise le notaire Amantio et comme en témoignent les costumes.

De la formidable équipe de chanteurs qui compose la famille de Messer Buoso se distinguent notamment la Zita autoritaire de Geneviève Lévesque et le Marco pétillant de Dominic Veilleux. En plus de ces joyeux drilles, les trois solistes principaux brûlent les planches, à commencer par Gregory Dahl, impayable en Gianni Schicchi roublard à souhait. Non content de s'amuser ferme, il chante magnifiquement un rôle qui lui va comme un gant. Il pousse même l'amabilité jusqu'à dire l'adresse finale dans un très bon français. On peut certes reprocher à Steeve Michaud de pousser un peu trop la voix en Rinuccio, mais comment résister à tant d'ardeur et à une telle impétuosité ? Enfin, Audrey Larose Zicat est une Lauretta idéale qui donne un « O mio babbino caro » exquis de naturel et de fraîcheur.

Dans la fosse, Joseph Rescigno et l'Orchestre symphonique de Québec réussissent aussi bien à traduire le drame religieux – le passage symphonique quand la nuit enveloppe le cloître est d'une sensibilité à fleur de peau – que le côté complètement déjanté de la comédie. Après la demi-réussite de Suor Angelica, Gianni Schicchi constitue assurément une des meilleures productions des dernières saisons de l'Opéra de Québec.

L.B.

A lire : notre édition du Triptyque : L’Avant-Scène Opéra n° 190.


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Gianna Corbisiero (Suor Angelica) et Sonia Racine (la Principessa). Photos : Louise Leblanc.