Les Danaïdes avaient aussitôt imposé Salieri à Paris – qui découvrit après qu’il ne les avait pas composées avec son maître Gluck, mais tout seul. Tarare, sur un livret de Beaumarchais, connut aussi un grand succès en 1787. Un an avant, un sort moins heureux était réservé aux Horaces : l’œuvre disparut après trois représentations. Il est vrai que les vers de Guillard, le librettiste d’Iphigénie en Tauride de Gluck, affadissent beaucoup la tragédie de Corneille : Camille fait parfois de l’ombre aux autres personnages, le Jeune Horace est réduit au minimum alors qu’on a flatté le Vieil Horace, le Grand Prêtre et le Grand Sacrificateur. Mais Salieri a le sens du théâtre, sa tragédie lyrique en trois actes devrait avoir sa place dans l’histoire du genre, sur ce chemin qui mènera un jour au grand opéra historique, avec ses grandes scènes d’ensemble qu’on trouve ici à maintes reprises, notamment lors des deux Intermèdes – dans le temple de Jupier ou dans la campagne des environs de Rome, lieu du serment que David avait représenté, un an plus tôt, à travers son célèbre tableau.

La Grotte de Trofonio à Lausanne, Les Danaïdes à Versailles : Christophe Rousset, heureusement, est là pour défendre Salieri. Les Horaces ne l’inspirent pas moins, il les dirige même avec un sens de l’urgence théâtrale qu’on ne lui connaît pas toujours, sans renoncer à la mise en valeur des timbres par un orchestre des Talens Lyriques en grande forme – comme l’excellent chœur dirigé par Olivier Schneebeli. La distribution, comme la plupart du temps au Château, préserve les caractéristiques de ce style français qu’on cherche souvent en vain à l’Opéra. Certes Judith van Wanroij a parfois l’articulation inégale, mais elle incarne une très belle Camille par la ligne et la déclamation, voix charnue ne dérapant jamais dans les passages les plus tendus, notamment à la fin. Curiace à la fois élégiaque et tourmenté, Cyrille Dubois s’épanouit chaque jour davantage, avec cet aigu si facilement déployé, cette noblesse du phrasé qui en font un de nos meilleurs ténors français d’aujourd’hui. Si peu gâté par Salieri, Julien Dran donne au jeune Horace une vraie présence, voix sûre et bien conduite. Superbe en vieux Romain, Jean-Sébastien Bou incarne avec une impressionnante autorité la grande déclamation à la française. Andrew Foster-Williams n’a guère à lui envier, même s’il reste un peu marqué pour le Grand Prêtre et le Grand Sacrificateur, sans doute malgré lui, par les rôles noirs où il excelle. Impeccables rôles secondaires : Versailles nous a, une fois de plus, réservé des plaisirs sans mélange, sa saison 2016-2017 fêtant avec éclat les trente ans du Centre de musique baroque. Comme pour La Grotte de Trofonio et Les Danaïdes, un disque suivra, ce dont on se réjouit.

D.V.M.