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Joseph Calleja (Faust), Kristine Opolais (Marguerite) et René Pape (Mefistofele).

Un hangar ou tunnel-boîte de nuit, clos par des arches de pont métalliques : Mefistofele ne commence pas au ciel. Dans la lecture de Roland Schwab, il n’y a guère que l’enfer. La rédemption de Faust, qui sera passé par un asile de vieillards, restera très problématique – même si l’on verra le diable confondu, apparemment du moins. Mefistofele est le patron de la boîte, plutôt du genre sado-maso : on tire Faust du sous-sol – un sous-sol de bunker où l’on supplicie les corps –, enchaîné comme un ours, pour en faire le cobaye du salut ou de la damnation ; ça ressemble à ces prisons des dictatures contemporaines. Du ténébreux, avec des projections vidéo en noir et blanc : un avion tournoie au milieu de gratte-ciel qui se substituent à une coupole d’église baroque. Tout cela renvoie au cercle, évidemment – merci Dante. On a compris : l’enfer est ici et maintenant, dans le temps, dans l’Histoire. A partir de là, le metteur en scène continue de nous asséner, de nous infliger plutôt, tout le fatras d’un Regietheater sans vision – n’est pas Warlikowski qui veut. L’acte d’Hélène ? Il fallait bien qu’on nous ressorte l’asile, où le pauvre Faust prend son infirmière pour la fatale Grecque. Auparavant, Marguerite n’a pas été séduite mais violemment et publiquement déflorée au cours d’une partie bien arrosée. Et Faust n’aperçoit pas sa bien-aimée enchaînée, mais un fœtus. C’est glauque et lourd, assez éclaté. Quant à Goethe… La direction d’acteurs ne semble s’intéresser qu’au diable, laissant souvent Faust livré à lui-même. Roland Schwab multiplie les effets, exploite toutes les ressources de la technologie moderne, mais se laisse écraser par eux et ne produit qu’un spectacle assez creux. Dommage : c’était le premier Mefistofele  présenté sur une scène munichoise – une production de l’année.

La musique compense-t-elle les lacunes de la production ? Partiellement. René Pape laisse une impression mitigée. La voix semble un peu courte pour le rôle, ne flamboie pas assez. On sent surtout que fait défaut quelque chose d’italien ou de latin : la basse allemande, plus baryton-basse d’ailleurs, n’est pas vraiment chez elle. Mais elle brûle les planches, imposant un personnage haut en couleur, tortionnaire de l’âme au machiavélisme inquiétant, jouisseur pervers plus qu’esprit qui nie. Les affinités de Kristine Opolais avec le répertoire italien resteront toujours sujettes à caution : une Marguerite monochrome, rien moins que belcantiste, plus appliquée qu’inspirée – on remarquerait presque davantage l’opulente Hélène de Karine Baajanyan, à laquelle manque cependant de l’aisance dans l’aigu. C’est le Faust tourmenté de Joseph Calleja qui sauve la mise, avec une voix plus corsée qu’hier, timbre au métal clair, fort d’une ligne magnifiquement modelée et tenue, le seul à incarner l’orthodoxie stylistique et à rendre une totale justice à la partition de Boito. Omer Meir Wellber cherche ses marques au début, ce qui est fâcheux pour le Prologue, les trouve progressivement, arrive à créer de vrais moments de théâtre, mais sans trouver le fil conducteur de ce Mefistofele oscillant entre l’ironie sarcastique et le lyrisme brûlant – à l’unité certes problématique.

D.V.M.

Notre édition de Mefistofele : L’Avant-Scène Opéra n° 238


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Kristine Opolais (Marguerite) et Joseph Calleja (Faust). Photos : Wilfried Hösl.