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Simon Keenlyside (Germont) et Ermonela Jaho (Violetta).

 

Après le hara-kiri de la geisha à Orange, voici l’agonie de la phtisique à Munich. Ici et là, Ermonela Jaho triomphe – on sent juste, dans cette deuxième représentation, un peu de fatigue à partir de la fête chez Flora. Sa Violetta avait déjà séduit Bastille, par la force et la sincérité de l’incarnation, le dosage du beau chant et de l’expression, qui jamais ne perdent leurs droits. Malgré un mi bémol très tiré et, au fond, inutile, le premier acte se clôt par un air superbement assumé, même si l’on n’y trouvera pas de virtuosité insolente ; avec, déjà, un art de la coloration et de la nuance, jusqu’à des pianissimi aussi éthérés qu’habités. La Traviata est bien là sous nos yeux, d’une beauté fragile, figure sacrificielle mais noble, que Günter Krämer fait avancer, à la fin, avant qu’elle s’effondre, vers un rai de lumière rédempteur.

Depuis 1993 – date de la création de cette production au Festival de Munich – le metteur en scène allemand joue sur les symboles. Pendant le Prélude, sur la scène plongée dans l’obscurité, des hommes en habit entourent une petite fille – le double, enfant, de Violetta, encore pur de toute souillure. La fête se déroule ensuite devant un grand mur noir, percé de portes donnant sur un autre mur, rouge, percé lui aussi de portes. Les couleurs de la fête, de la passion, de la maladie et de la mort. On se croirait plutôt, d’ailleurs, au milieu du Berlin des années 1920 : il y a ici un côté cabaret. A l’époque, cela faisait sans doute moderne ; aujourd’hui, cela sent le déjà-vu. Et le metteur en scène a la main très lourde pour diriger le chœur, comme chez Flora, où le noir fait place au vert des tables de jeu – décor ici franchement laid. Au deuxième acte, d’un design glacé, un autre double innocent  apparaît : la sœur d’Alfredo, que Germont traîne derrière lui avec autorité, sinon brutalité. Symbole encore : l’immense lustre de cristal qui illumine le salon de Flora gît sur le sol à la fin, tandis que Violetta vit ses derniers instants à travers un réalisme assez appuyé. Rien de marquant, donc.

Si la soprano albanaise incarne une certaine orthodoxie stylistique, ses partenaires laissent plus sceptique. Pavol Breslik se signale toujours par le naturel de l’émission et la générosité du chant, mais on ne verra pas en lui un ténor verdien : il faudrait un phrasé plus modelé, surtout dans le cantabile, des nuances moins détimbrées. Simon Keensylide, fatigué, n’est pas plus latin, ce dont souffre un rôle plus axé sur le chant que sur la caractérisation – Germont n’est ni Macbeth ni Rigoletto. Mais justement : le baryton anglais en fait un rôle de composition, icône de la bonne conscience bourgeoise raidie par ses principes, père plus fouettard que tendre, une « gueule », comme on dit, si bien qu’on lui en veut moins de ne pas être un belcantiste – cela dit, il n’est vraiment pas à son aise dans la cabalette… comme son fils.

Marco Armiliato est solide, efficace, nuancé aussi, vrai chef de théâtre héritier de la meilleure tradition italienne, qui avance et tend l’arc avec un lyrisme généreux mais toujours maîtrisé.

D.V.M.

Notre édition de La Traviata : L’Avant-Scène Opéra n° 51


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Pavol Breslik (Alfredo) et Ermonela Jaho (Violetta). Photos : Wilfried Hösl.