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Hanna Hipp (Magdalene), David Portillo (David), Gerald Finley (Hans Sachs), Amanda Majeski (Eva) et Michael Schade (Walther).

 

« La version de référence actuelle » : ainsi Pierre Flinois saluait-il, dans sa Vidéographie comparée des Maîtres chanteurs pour L’Avant-Scène Opéra (n° 279), la captation de cette production lors de sa création à Glyndebourne en 2011. Précisant du Hans Sachs de Gerald Finley : « l’autre merveille de la production ». On ne saurait dire mieux.

Classique pour les yeux, vivante pour les cœurs, la mise en scène de David McVicar joue du détail foisonnant (décors et costumes de Vicki Mortimer aussi éloquents que raffinés), écrin superbe qui jamais n’étouffe une direction d’acteurs brillante dans sa justesse (regards et gestes, parfois esquissés, où tout un monde de sentiment est contenu) comme dans sa caractérisation (chaque Maître est croqué avec délice, comme ce Nachtigall encombré de famille). Le sérieux du propos (l’avenir de l’artiste… c’est-à-dire l’artiste de l’Avenir, replacé évidemment à l’époque de Wagner – mais sous la double coupe esthétique d’une croisée d’ogives gothique et d’une Adoration de Mantegna) n’empêche pas le plaisir du spectacle, entre chorégraphies toniques (et superbement assumées par le Chœur de Glyndebourne, par ailleurs remarquable), bataille rangée impeccablement réglée, artistes circassiens animant les festivités de la scène finale et séquence drolatique dans l’atelier de Sachs où les accessoires prennent vie, ligués contre Beckmesser.

Ce dernier est incarné de façon hilarante (et vocalement impeccable) par un Jochen Kupfer burlesque – mi-Mister Bean dégingandé, mi-Elvis avorté dans sa façon « pelvienne » de gratter son luth ; surtout, par ses frisottis coquets et sa redingote de corbeau, ce dandy pédant et fat renvoie à Meyerbeer ! Pourtant sa relation à Sachs n’est pas dénuée d’émotion : on sent d’un côté la jalousie du tâcheron envers l’artiste, et de l’autre, le respect du poète envers un lointain cousin, moins doué certes mais sincère dans ses aspirations. Ce Sachs, c’est donc Finley : étreignant à vous faire monter les larmes aux yeux dans son humanité tendre. Le chanteur se transcende dans le format de Glyndebourne, entre introspection et lyrisme ; l’acteur est d’un raffinement inouï, tant dans son rapport à David (excellent David Portillo, chant souple et aisé, personnage riche et vif-argent) que dans son amour pour Eva (Amanda Majeski, soprano « blonde » au port de reine et à la ligne vocale royale) ; sous ces deux aspects, il lui est hélas infiniment mieux apparié que le Walther sans grâce de Michael Schade, encombré scéniquement et par trop efforcé dans ses aigus – dommage pour le Quintette, qui aurait été sublime : la Magdalene d’Hanna Hipp étant par ailleurs fruitée et pleine de sève. Pogner (Alastaire Miles) et tous les Maîtres sont de belle eau : un plateau presque parfait ! En fosse, Michael Güttler fait preuve d’une belle autorité, menant ces Meistersinger – et le London Philharmonic Orchestra – à une générosité puissante mais dans un rythme sûr, à la tonicité dramatique sans faille. Quand des Meistersinger bien pensés rencontrent un Sachs d’anthologie, le tout dans un théâtre au format idéal pour en sublimer l'humanité, c’est un moment d’histoire opératique qui se joue – et se rejoue au gré des reprises : merci Glyndebourne !

C.C.

Notre édition des Maîtres Chanteurs de Nuremberg : L’Avant-Scène Opéra n° 279


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Jochen Kupfer (Beckmesser) et Gerald Finley (Hans Sachs). Photos : Tristram Kenton.