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Corinne Winters (Desdemona) et Ian Storey (Otello).

 

Huis clos nocturne pour cet Otello revu par Michael Thalheimer dans sa « manière noire » minimaliste, bien connue depuis son étonnante Force du destin ici même en 2012. La grande boîte hermétiquement close qui tient lieu de décor semble une métaphore de la prison mentale dans laquelle se débat avec ses problèmes d'identité autant qu'avec sa jalousie un Otello au visage barbouillé de noir, sorte de Paillasse tragique. Elle ne s'ouvrira qu'à trois reprises, pour laisser entrer une Desdemona juvénile en robe-tutu de gaze noire et sur les ambassadeurs vénitiens qui n'en franchiront pas le seuil, restant au bord de cet univers oppressant et sans issue où le Maure piège ses interlocuteurs. Elle commencera à se déstructurer au finale de l'acte II et se fracturera après le meurtre final pour ne laisser filtrer qu'un peu de lumière. Oppressant et sans échappatoire, cet univers abstrait où l'on se heurte aux murs conviendrait aussi bien à Pelléas ou à Tristan. Si l’absence de contrastes et de scène d’ensemble peut frustrer le spectateur, elle contribue à mettre en relief la solitude des personnages et leur drame individuel, explosant dans toute sa force tragique dans les deux derniers actes. Présent sur scène d'un bout à l'autre de l'opéra, le Maure semble finalement être victime de lui-même autant que des manigances de Iago qui ne font que cristalliser ses angoisses.

Ian Storey possède la carrure physique et vocale qui convient à ce personnage hors normes. La voix est puissante et large avec un aigu d'un métal superbe. Son émission est hélas brouillée par une articulation italienne où l'accent anglo-saxon écrase les consonnes et rend souvent le texte inintelligible. Auprès de lui, Corinne Winters paraît presque une enfant. Un peu sous pression dans la tessiture de grand lyrique de Desdemona, l'aigu piano paraît toujours légèrement tiré et à la limite de la justesse. La chanteuse ne semble vraiment s'approprier le personnage que dans son avant-dernier affrontement avec Otello et s'épanouit totalement dans la scène finale où elle apparaît serrant contre elle sa robe de mariée, seule véritable lumière dans cet univers de ténèbres. La mise en scène rompt avec la tradition du retour d'Emilia sur le cri d'adieu de Desdemona, la laissant affronter la mort dans une solitude absolue. Stylé et bien chantant, Vladimir Stoyanov incarne Iago avec sobriété mais semble, sur la longueur, manquer d'ampleur et de noirceur pour s'imposer auprès du rôle-titre. Impressionnant d'homogénéité et de puissance est le chœur, notamment dans la scène d'ouverture où il menace, massé en fond de scène, un Otello déjà dévoré par le doute. On regrette que le beau ténor lyrique d'Adam Smith en Cassio se croie obligé de forcer ses aigus comme s'il devait concurrencer le rôle-titre, car son timbre est vraiment séduisant. Excellents en revanche l'Emilia de Kai Rüütel et le Lodovico de Leonard Bernad. Alexander Joel exalte la beauté et la richesse de l'écriture orchestrale à la tête de l'orchestre symphonique de l'Opera Vlandereen au meilleur de lui-même. Sa direction plastique apporte à ses chanteurs un soutien de haut niveau et réalise une parfaite fusion entre le plateau et la fosse pour un spectacle qui ne cesse de gagner en puissance au fil de la représentation.

A.C

Notre édition d’Otello : L’Avant-Scène Opéra n° 218.


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La scène finale. Photos : Annemie Augustijns.