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Lenneke Ruiten (Susanna), Ingeborg Gillebo (Cherubino) et Ana Maria Labin (la Comtesse).

La production des Noces de Figaro dirigée par Marc Minkowski et Ivan Alexandre a pris ses quartiers d’hiver durant trois jours à l’Opéra royal de Versailles après avoir été présentée au Slottsteater de Drottningholm l’été dernier. Héritage de ce lieu premier, la légèreté du dispositif : une estrade de « théâtre dans le théâtre », quelques voilages pour figurer les cloisons, et c’est quasiment tout. Mais à cette forme gracile, sublimée par la scénographie d’Antoine Fontaine – dont les dessins d’architecte font du décor un palimpseste mental, et qui retrouve dans ses costumes la magie de coloris poudreux et néanmoins épicés qu’avait révélée Hippolyte et Aricie (Toulouse, 2009) –, s’ajoute un fond à l’équivalente liquidité : les corps circulent fluidement, les récitatifs coulent avec le tempo de la vie. La direction d’acteurs d’Ivan Alexandre et la baguette de Marc Minkowski s’accordent pour des Noces où l’esprit tournoie en mêlant sourire et gravité : le burlesque se souvient des tréteaux moliéresques, eux-mêmes inspirés par la commedia dell’arte (Bartolo manie le bâton comme un Scapin refoulé, et Basilio l’insinuation gluante à la façon d’un Tartuffe en herbe – option Micha Lescot), et les sentiments meurtris ouvrent à l’orchestre d’éphémères abysses. La Trilogie Da Ponte (que la même équipe s’apprête d’ailleurs à compléter, en commençant par Don Giovanni en août prochain à Drottningholm) s’invite en tant que telle : lorsque Figaro croit constater que « Così fan tutte », y compris sa chère Susanna (saluons au passage le continuo admirable et malicieux de Francesco Corti), ou que Cherubino, encore adolescent mais expérimentant beaucoup en une seule « folle journée », laisse transparaître le futur séducteur qui perdra les femmes à force d’avoir été perdu pour elles… Cela ravit l’œil et l’esprit, s’inscrivant dans un imaginaire visuel classique où Strehler retrouverait les tréteaux de Goldoni.

Dès le premier « Cinque… » éclate l’évidence de la soirée : le Figaro de Robert Gleadow, timbre rutilant et corps électrique, qui aimante les regards et comble l’oreille – ne faisant qu’une bouchée de ses partenaires. Tout comme il avait paru Leporello plus jouisseur et superbe que son Don Giovanni (Markus Werba) au Théâtre du Châtelet en 2013, il fait ici pâlir le Comte de Florian Sempey qui ne démérite certes pas mais manque, en comparaison, d’autorité vocale et de vivacité de jeu. On regrette pourtant que les deux prime donne de la production ne soient pas à la hauteur de ce Figaro ardent et prodigue : Lenneke Ruiten (Susanna) et Ana Maria Labin (la Comtesse) sont certes d’exquises musiciennes – qui, comme Cherubino, osent, dans l’écrin versaillais et sous la conduite protectrice du chef, des nuances sur le fil de la voix –, mais semblent sous-dimensionnées, la première manquant de la volupté du medium nécessaire pour dépasser la soubrette et accéder à un « Deh vieni » vraiment enivrant, la seconde affichant une voix étroite et parfois dure. En revanche, le Cherubino d’Ingeborg Gillebo séduit et conquiert, autant par son timbre soyeux et profond que par son naturel dans le travesti. Anders J. Dahlin est un Basilio (et Curzio) de luxe, évitant les laideurs trop souvent affectées à ces deux rôles de caractère et affichant un sens comique qui fait mouche ; Paolo Battaglia est un Bartolo (et Antonio) un peu ombré mais efficace ; Marcellina, sans son air, fait oublier ses registres peu domestiqués par sa présence tonique ; et Hannah Husáhr est une Barberine de cristal et de larme, qu’on a envie de suivre. Légèreté toujours : ce sont les protagonistes qui chantent les parties de chœur, nouvel ingrédient (inspiré de la création) de ce métathéâtre, qui n’est en rien systématique (les coulisses à vue sont habitées par des interprètes/personnages selon une porosité au flou soigné) mais suffisamment joueur pour que ces Noces « trilogiques » aient une signature au parfum addictif. Vivement la saison 2.

C.C.

A lire : Les Noces de Figaro, L’Avant-Scène Opéra n° 135-136.


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Robert Gleadow (Figaro, en arrière-plan), Florian Sempey (le Comte) et Lenneke Ruiten (Susanna). Photos : Mats Bäcker.