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Depuis sa création en 1814 à Milan, Il Turco in Italia a toujours fait figure d'outsider par rapport au trio de tête des opéras buffa rossiniens (Le Barbier de Séville, La Cenerentola et L'Italienne à Alger). Il est vrai que son livret et ses subtils effets de méta-théâtre rendent sa mise en scène particulièrement délicate. A ce titre, la production de Federico Bertolani est une totale réussite. On reconnaît dans ce travail intelligent la bonne tradition italienne, celle des Strehler et des Ronconi, qui ne force jamais le sens des œuvres et, même en les transposant – comme ici dans le contexte d’une Naples populaire et vivante –, le fait toujours avec un goût très sûr et dans un esprit plutôt classique. Avec des moyens limités, quelques panneaux coulissants, des costumes élégants et expressifs et surtout un jeu de lumières très élaboré, le metteur en scène gère avec fluidité les changements de lieu et chorégraphie avec maestria les grands ensembles. Caractérisant avec humour mais sans caricature excessive les personnages et les situations, il impose un rythme véritablement théâtral qui soutient sans le moindre temps mort les deux heures trente bien tassées de la partition – donnée, ce qui est une véritable audace, dans son intégralité.

Cette complétude est une aubaine pour un plateau d'excellent niveau et d'une parfaite homogénéité où les qualités vocales sont au diapason des talents de comédien. Dans le rôle-titre, Giovanni Furlanetto, plus baryton-basse que basse noble, n'a pas peut-être pas toute l'ampleur qui fait les très grands Selim mais s'avère un remarquable vocaliste et compense largement par un style impeccable quelques limites en termes de profondeur de timbre. A l'inverse, Domenico Balzani, au baryton sonore et timbré, paraît un peu surdimensionné pour son rôle de basse bouffe, mais l'air supplémentaire du deuxième acte avec sa partie syllabique hautement virtuose lui va comme un gant et son Geronio plus jeune et ingambe que de coutume convainc pleinement. Si Julia Bauer possède tout l'abattage voulu pour son rôle de grande coquette, on pourrait souhaiter pour Fiorilla une voix plus large et centrale que son lyrique-léger car ses vocalises allégées tirent souvent le personnage vers la soubrette et son grand air séria du deuxième acte manque singulièrement d’impact. Par opposition, le timbre coloré d’Anna Destraël donne à Zaida un relief presque dramatique. On n'attendait pas nécessairement Cyrille Dubois dans le répertoire rossinien. Si quelques notes dans le passage paraissent encore lui poser problème, on est impressionné par la bravoure et l'expressivité qu'il déploie dans ses deux airs dont le premier est rarement donné et le second, un air quasiment héroïque. Le rôle le plus théâtral, celui du poète Prodoscimo, est tenu avec brio par le baryton Matthieu Lécroart, grimé en intellectuel de gauche, omniprésent sans jamais être envahissant et bien chantant à chaque fois que le rôle l'impose. En Albazar, le ténor Artavazd Sargsyan joue les utilités avec une singulière présence et délivre avec un goût très sûr et un joli timbre de ténor léger son air de sorbet du deuxième acte – qui n’est pas vraiment du Rossini. Après un démarrage un peu scabreux du côté des cors, l'orchestre national de Lorraine, sous la direction diligente de Manuel Perez Sierra, s'avère un instrument très fiable de même que l'excellent chœur masculin de l'Opéra-théâtre. Une mention pour le pianoforte qui assure le continuo et y intègre avec beaucoup de liberté force mélodies napolitaines qui viennent renforcer l'esprit même cette mise en scène dynamique et pleine de vie.

A.C.

A lire : Le Turc en Italie, L’Avant-Scène Opéra n° 169.


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Photos : Arnaud Hussenot / Metz-Métropole.