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Au premier plan : Damien Bigourdan (Thésée) et Damien Pass (Dédale).

 

Commande conjuguée du Festival d’Aix-en-Provence, des Berliner Philharmoniker et du London Symphony Orchestra, Le Monstre du labyrinthe, opéra « pour tous » de Jonathan Dove sur un livret d’Alasdair Middleton, a bénéficié d’une triple création : le 20 juin dernier à la Philharmonie de Berlin (en allemand), le 5 juillet au Barbican Center de Londres (en anglais), enfin trois jours plus tard au Festival d’Aix-en-Provence (dans une adaptation française d’Alain Perroux).

Impulsé par Sir Simon Rattle dont on connaît le talent pour conjuguer excellence musicale et action sociale, le projet regroupe des phalanges prestigieuses, de jeunes musiciens préprofessionnels et des amateurs. A Aix-en-Provence, la représentation rassemble ainsi 300 chanteurs (enfants, adolescents et adultes) issus de la région aixoise (conservatoire, collèges et lycées, chœurs locaux) qui ont préparé la partition durant de longs mois, l’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée – une formation créée en 1984 qui, en lien avec l’Académie du Festival, fédère de jeunes instrumentistes en provenance de tout le bassin méditerranéen – et le LSO, tous exaltés par la direction enthousiaste et généreuse de Rattle.

La partition de Jonathan Dove obéit aux impératifs de l’exercice – une modernité qui s’infléchit en modalité souvent consonante, des lignes vocales doublées instrumentalement – mais parvient à créer un vrai tissu musical dense et singulier : du murmuré à la clameur collective – en passant par trois protagonistes lyriques et un rôle parlé –, la voix est richement expressive, tout comme le langage orchestral, conjuguant déflagration et poésie, violence et liberté.

Il faut dire que l’argument se prête à ces atmosphères bousculées : Minos, roi de Crète, humilie Athènes vaincue en lui réclamant pour tribut annuel la fleur de sa jeunesse, offerte en sacrifice au Minotaure. Si, pour cette édition 2015 du Festival, L’Enlèvement au sérail de Martin Kusej lorgne vers l’actualité du monde (voir ici), que dire de cette œuvre où l’on entend Minos proférer sans pitié « Tu es à terre, Athènes, et tu y resteras ! » ?! Avec une pertinence rigoureuse, la mise en scène de Marie-Eve Signeyrole actualise donc le sacrifice des Grecs… mais, très judicieusement, dans une autre direction, plus universaliste : celle des tyrannies qui broient les populations, celle des victimes « offertes » à une économie prédatrice, celle des émigrations forcées qui, entre fuite et oblation, font de la Méditerranée le cimetière marin des peuples défaits. A ce titre la production s’inscrit dans le soutien du Festival d’Aix à la campagne « Nous sommes tous méditerranéens » lancée en mai dernier à Palerme par des représentants de régions méditerranéennes d’Europe, parmi lesquelles la région PACA.

Dans un décor d’esprit industriel une foule humaine se masse ou s’éparpille, lutte ou attend, en vient même à figurer le labyrinthe fatal – le tout selon une brillante gestion de l’espace et des déplacements. On saluera en tout premier lieu les interprètes de Thésée – formidable Damien Bigourdan au ténor solaire et à l’élocution limpide – et de Minos – le comédien Miloud Khetib lui confère un cynisme glaçant, tour à tour nuancé ou tranchant –, secondés par les beaux portraits de la Mère de Thésée (Lucie Roche) et de Dédale (Damien Pass). Le public ne s’y trompe pas, qui réserve un chaleureux triomphe à cette production aussi généreuse dans son propos que puissante dans sa réalisation.

C.C.


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Photos : Vincent Beaume.