OEP475_1.jpgLawrence Zazzo (Obéron) et Miltos Yerolemou (Puck).

Le soir de sa création lors du Festival d’Aix-en-Provence 1991 avait suffi à créer le mythe : le Midsummer Night’s Dream de Britten mis en scène par Robert Carsen avait atteint un état de grâce touchant à la perfection. Le quasi-quart de siècle qui a passé depuis en a fait un grand classique, vu à l’Opéra de Lyon et à l’Opéra-Comique, à l’ENO et à La Scala, à Bordeaux ou à Barcelone. La reprise aixoise de cette année le confirme : le temps n’a pas de prise sur cette production, sur son esthétique à la beauté intemporelle habitée de personnages vif-argent.

La scénographie de Michael Levine sert avec génie la lisibilité d’un livret touffu. La palette de couleurs, radicalement réduite mais éclatante, immerge symboliquement le plateau dans la magie d’une forêt (vert émeraude) nocturne (bleu saphir) – un pur espace que les éclairages signés conjointement par Robert Carsen et Peter van Praet animent d’une vie onirique. Le lit, véritable thème visuel qui rythme les trois actes de ses multiples variations, figure la croisée des chemins où les couples se font et se défont. Les costumes enfin, par leurs teintes et leur style aussi spirituel que raffiné, identifient les groupes de personnages (les Fées, les Athéniens, les Artisans), permettant de goûter pleinement l’intrigue à triple niveau qui les entremêle.

La direction d’acteurs, finement ajustée au tempérament scénique de chaque interprète, offre par mille détails une riche profondeur de champ au couple Obéron/Tytania, aux Athéniens désaccordés et aux Artisans-comédiens. La représentation de Pyrame et Thisbé joue notamment la carte d’un humour potache parfaitement en phase avec l’art de la parodie musicale qu’y déploie malicieusement Britten. Michael Slattery (Flute) est hilarant en Thisbé, tout comme le Pyrame/Bottom hyper-expansif de Brindley Sherratt. Puck, le factotum gaffeur, est croqué avec une gourmandise gaillarde par Miltos Yerolemou, qui parvient à offrir une réelle alternative à l’interprétation originelle d’Emil Wolk.

Sous la direction éclairée de Kazushi Ono, l’Orchestre de l’Opéra national de Lyon met quelque temps à régler les nuances infimes de ses glissandi rêveurs, mais délivre ensuite un Midsummer épicé auquel répond un plateau de haut vol. A commencer par le Trinity Boys Choir et ses quatre solistes, comme poisson dans l’eau dans le langage cristallin et mutin que Britten leur destine. L’Obéron de Lawrence Zazzo est subtil plutôt que charismatique : sa projection ténue sert un portrait intériorisé, à la fois mâle et secret ; face à lui, la Tytania de Sandrine Piau : technique impeccable mais avec, ici, un rien de froideur dans le timbre et le chant. Plus distants que sensuels, tous deux laissent finalement l’incarnation aux humains.

D’un côté la chair émotive, éprise ou nymphomane, épuisée ou conquérante, des Athéniens en quête d’amour : attachante Hermia d’Elizabeth DeShong, Helena obstinée de Layla Claire – toutes deux jouant délicieusement de leurs physiques opposés, tout comme Rupert Charlesworth (Lysander) et John Chest (Demetrius) : leurs échanges en acquièrent une vraie saveur burlesque. De l’autre, les corps las des Artisans, leur gestuelle maladroite guidée avec une infinie patience par le Quince généreux de Henry Waddington. Au dessus d’eux tous, deux souverains apparaissent en fin de IIIe acte, comme par enchantement : dessinés ici comme les princes du Peau d’âne de Jacques Demy, ils éblouissent le regard de leur rutilant costume d’or. Scott Conner (Theseus) et Allison McHardy (Hippolyta) ajoutent leur altière – et néanmoins piquante – présence à ce microcosme jubilatoire.

Quand Puck s’envole dans les cintres, laissant les spectateurs à leur rêve éveillé, l’on souhaite que ce « Songe d’une nuit aixoise » ne se dissipe jamais tout à fait...

C.C.

A lire également :

notre édition du Songe d’une nuit d’été – L’Avant-Scène Opéra n° 284

et notre numéro spécial Opéra et mise en scène : Robert Carsen – L’Avant-Scène Opéra n° 269

 


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Simon Butteriss (Starveling / le Clair de lune), Brian Bannatyne-Scott (Snug / le Lion), Michael Slattery (FLute / Thisbé),  Scott Coner (Theseus), Layla Claire (Helena) et John Chest (Demetrius). Photos Patrick Berger.