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Désir et souffrance

Il aura donc fallu attendre 2015 pour voir la première production française de cet opéra créé en 1918, un immense succès européen à son époque (il en sera de même pour Die Ferne Klang en 1912 et Der Schatzgräber en 1918), création scénique à porter au crédit du directeur général de l’Opéra de Lyon, Serge Dorny.

Les opéras de Schreker tournent le dos à l’opéra romantique : il n’y a plus de bourreaux et de victimes – ou plutôt, il n’y a plus que des bourreaux-victimes. L’œuvre est en trois actes mais constitue une sorte de grand arc tragique où les personnages finissent par succomber à leur propre folie : au XVIe siècle, Alviano, laid, nain et bossu (« stigmatisé ») mais richissime, fait construire sur une île, l’Elysée, une sorte de paradis terrestre dédié aux arts et à la nature. Des nobles jouissent pourtant de l’endroit en y organisant des orgies avec de jeunes femmes de la bourgeoisie préalablement kidnappées. Se résignant à l’impossibilité d’être aimé, Alviano découvre néanmoins que la jeune artiste-peintre Carlotta s’est éprise de lui, elle qui refuse d’ailleurs les avances du beau Tamare issu de la noblesse et proche des noceurs criminels. Mais le portrait d’Alviano achevé, Carlotta sent le charme de ce dernier s’estomper et finira par s’offrir sur l’île à Tamare – cela se termine bien sûr très mal. Schreker écrivit à propos de cet opéra : « Je vois les hommes comme ni bons ni mauvais. Ballons ballottés par leurs passions dont la plus puissante me semble être le désir sexuel, ils doivent forcément être contradictoires, à l’instar de la volonté de la nature elle-même. D’ailleurs qu’est-ce qui est bien et qu’est-ce qui est mal ? »

La mise en scène de David Bösch situe l’action de nos jours. Très peu de décors mais de nombreuses vidéos, soit pendant le magnifique prélude – avec la projection spectaculaire d’avis de recherche de femmes ou d’enfants disparus –, soit en arrière-plan à fins d’illustration. C’est parfois un peu appuyé, mais le livret de Schreker ne fait pas toujours dans l’ellipse au cours de ces presque trois heures de spectacle. Mais justement on ne s’ennuie pas une seconde, et si l’on est pris d’abord par la variété, la sophistication harmonique et la vivacité de la musique de Schreker, on le doit aussi à une direction d’acteurs efficace, parfaitement secondée par les jeux de lumière de Michael Bauer. On y associera bien sûr les rôles principaux : si Charles Workman (Alviano) fut le plus acclamé pour sa très juste incarnation du personnage principal, aussi grand seigneur que pitoyable, la réussite du spectacle repose aussi sur Magdalena Anna Hofmann (Carlotta), remarquable tant pour son impressionnante présence que pour l’assurance de sa prestation vocale. On a trouvé Simon Neal (Tamare) un peu plus raide, tant de jeu que de voix.

Mais les vrais stars de la soirée étaient l’Orchestre de l’Opéra de Lyon, faisant preuve d’une très grande homogénéité et de belles couleurs – même si l’on aurait gagné à avoir un peu plus de cordes – et le chef Alejo Pérez, grand triomphateur de la représentation : impeccable dans la relance, l’équilibre avec le plateau et la coordination d’ensemble.

T.V.


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Photos : Bertrand Stofleth.