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Cecilia Bartoli (Cléopâtre) et Andreas Scholl (Jules César). © Hans-Joerg Michel / Salzburger Festspiele.

Ce Jules César a été conçu autour de Cecilia Bartoli, la nouvelle directrice du festival de Pentecôte qui a, paraît-il, voulu pour la mise en scène le tandem Caurier/Leiser. Celui-ci, auquel on doit tant de belles productions, est malheureusement tombé dans le piège du poncif, comme Laurent Pelly à Garnier, faute de s’être laissé porter par l’œuvre. L’actualisation est convenue : pour mieux faire main basse sur le pétrole, les Nations Unies mettent de l’ordre dans un Orient corrompu, cupide et lubrique, où Cornélie finit jardinière dans le harem et voue son fils au martyre avec une ceinture de grenades autour de la taille. Le mélange des genres rate sa cible : là où ils invoquent Shakespeare, Patrice Caurier et Moshe Leiser donnent dans un second degré surchargé de facilités. On en sourit volontiers au premier acte, avec ce côté bande dessinée, ce Sextus fils à maman coincé dans son uniforme blanc, cette Cléopâtre vamp de cuir vêtue, ce César haut fonctionnaire international à la chair faible, alors que Cornelia reste une figure tragique rescapée de quelque tragédie grecque. A partir du deuxième acte, tout tombe au fond des draps et des culottes, la symbolique devient aussi pesante que les chars : Cléopâtre juchée sur un missile gode, danseuse de revue à la chevelure chinchilla, dont on se demande si elle ne va pas chanter « Mon truc en plumes », Ptolémée se caressant vaillamment à la vue d’une revue porno… Un fatras d’effets convenus dont la mise à distance échoue, comme celle du kitsch orientaliste par exemple, que les metteurs en scène prétendaient peut-être dénoncer – certains s’interrogeront d’ailleurs sur l’idéologie que la production véhicule. C’est d’autant plus regrettable qu’ils donnent au spectacle – sans coupures, presque cinq heures avec deux entractes – un indéniable rythme, savent diriger au millimètre des chanteurs jouant pleinement le jeu, voient la violence, sexuelle ou militaire, cachée derrière les fastes du seria, perçoivent l’évolution des caractères – Sextus avatar d’Hamlet confronté à l’apprentissage de l’héroïsme sacrificiel, Cléopâtre éprouvant la cruauté des hommes et violée par son frère, chantant « Piangerò la sorte mia » une cagoule sur la tête. C’est dommage mais c’est raté et, comme à Pentecôte, le public a plutôt chahuté la production.

On n’en dira pas autant de l’interprétation musicale, même si elle n’atteint pas la perfection. Moins effervescent qu’un Minkowski, Giovanni Antonioni a le souci du fini instrumental – le solo de cor dans « Va tacito e nascosto », celui de violon dans « Se in fiorito ameno prato » – et de l’équilibre des timbres, des plans sonores et des tempos, à l’unisson de voix qu’il protège, jamais languissant pour autant, même dans les airs lents où il excelle. Tout le monde attendait la Bartoli, qui prend visiblement plaisir à la mise en scène, Cléopâtre à plusieurs visages finement incarnés, coquette, rusée ou meurtrie, voix liquide incroyablement maîtrisée, au souffle inépuisable pour la lamentation, avec de grandes réserves de couleurs… elle ne donne pas trop l’impression de se parodier elle-même et chante un « Piangerò » anthologique. De quoi mettre aussitôt César à genoux : fin styliste, technicien sans faille, Andreas Scholl fait pâlir l’étoile du Romain à cause de la modestie de ses moyens, échouant à donner idée de la vaillance du conquérant, plus crédible dans l’élégie – à un « Aure, deh, per pietà  » magnifiquement phrasé succède un « Quel torrente » dépassé. Parmi les quatre contre-ténors de la distribution, Philippe Jaroussky s’impose aussitôt – on s’agaçait pourtant a priori de ne pas entendre en Sextus la voix féminine prévue par Haendel : le timbre a de la chair, tous les registres passent la rampe, le legato et la colorature n’ont rien à s’envier, un personnage vit et mûrit sous nos yeux. Christophe Dumaux, pourtant idéal en Ptolémée pervers et venimeux, convainc moins, bien qu’il reste agile et phrase ses fureurs : le medium manque d’ampleur et le timbre a des aigreurs. Impayable et impeccable, en revanche, est le Nirena maquerelle du vétéran Jochen Kowalski. Autre ancienne : hier Sextus aujourd’hui Cornélie, Anne Sofie von Otter, qui connaît son Haendel sur le bout d’une voix aujourd’hui grise et décharnée, sait comment le chanter, toujours modèle de noblesse dans la douleur. Oublions au plus vite  l’Achilla de Ruben Drole, totalement étranger à ce type de chant.

D.V.M.

Lire notre édition de Jules César, ASO n° 97.


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Philippe Jaroussky (Sesto).© Hans-Joerg Michel / Salzburger Festspiele.