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Jonas Kaufmann (Don José) et Magdalena Kozena (Carmen). Photo Luigi Caputo.


Une reprise, alors que le nouvel intendant en a refusé le principe ? La décision de remettre à l’affiche cette Carmen du festival de Pâques avait, en réalité, été prise avant lui et il n’y pouvait rien changer : c’est bien ce qu’on regrette. La production démontre, une fois de plus, les perversités du star system : le couple Kožená/Rattle, ça vous fait une affiche et, naturellement, des CD qu’on s’empresse de jeter sur le marché. A ceci près que madame s’est totalement égarée dans un rôle inadapté à ses moyens et – sans doute – à son tempérament. Pas de médium, pas de grave, pas de timbre, rien de tout ce qui fait la gitane. Disons qu’elle garde un tiers des notes, aspirée, perdue dans le grand vaisseau du Festpielhaus. Pas de sensualité non plus : une Carmen comme dépassée par son histoire, parfois étrangement lointaine, n’arrivant pas à exister malgré quelques effets artificiels pour faire plus vrai – on pense parfois à Renée Fleming. Il paraît qu’on l’a chahutée à la première : il en faut beaucoup, à Salzbourg, pour que de telles choses se produisent… Et, où qu’on soit, pour que Micaëla triomphe à l’applaudimètre… Magdalena Kožená est une trop belle artiste pour qu’on ne souhaite pas la voir retourner au plus vite sur ses terres d’élection.

Si encore elle avait été dirigée scéniquement, elle qui n’a pas vraiment le théâtre dans le sang, elle aurait pu camper une Carmen atypique – sœur lointaine de Mélisande ? Mais Aletta Collins est d’abord une chorégraphe, dont la direction d’acteurs accuse aussitôt ses limites, notamment quand il s’agit des ensembles. Un Kaufmann, une Kühmeier, dont plusieurs productions ont déjà rôdé le Don José et la Micaëla, s’en sortent évidemment beaucoup mieux. Très hispanisante, la mise en scène expédie, souvent de façon assez statique, les affaires courantes – fort correctement d’ailleurs. L’inutile chorégraphie vaguement flamenco qui perturbe parfois l’écoute de la musique, avec son côté guerre des sexes soft, n’ajoute rien à la chose. Le tout se passant dans un décor assez vilain – on n’échappe pas, au deuxième acte, à la maison close tendue de rouge où, pour pimenter l’indigence de la proposition, Frasquita et Mercédès devenues sœurs Kessler s’embrassent goulûment sur la bouche… Histoire de se donner aussi un air branché, on transforme la montagne en égout. Une image réussie, heureusement, pour finir : un groupe de danseuses vêtues de noir semble engloutir, telles des déesses de la mort – et peut-être de l’amour –, Carmen et Don José enfin réunis.

Heureusement, deux autres sont là. Jonas Kaufmann s’impose désormais comme un des Don José du moment, moins violent que déchiré, écrasé par un destin trop lourd, toujours soucieux de l’élégance de la ligne. Les tensions des deux derniers actes ne durcissent pas une voix allégée dans le duo avec Micaëla ou dans un « Et j’étais une chose à toi » rarement ainsi murmuré jusqu’au si bémol – elle reste néanmoins un peu en arrière. Genia Kühmeier incarne, tel est bien le mot, une Micaëla forte, sans la moindre mièvrerie, timbre franc, tessiture homogène, chant stylé. Kostas Smoriginas, en revanche, arrache sans les phraser les notes d’Escamillo, uniquement soucieux de montrer ses biceps vocaux. Le chœur de l’Opéra de Vienne est magnifique, les autres tiennent leur rang ; il n’en manque pas moins un esprit consubstantiel à l’opéra comique – seul l’inusable Remendado de Jean-Paul Fouchécourt représente l’école française. C’est assez fâcheux quand on opte pour la version originale et ses dialogues – même limités.

Sir Simon Rattle ne dirige plus la Philharmonie de Berlin, comme à Pâques, mais celle de Vienne. Elle semble assez paresseuse, sans doute parce que le chef britannique privilégie la plasticité aux dépens de la tension dramatique, très attaché à la beauté des détails, avec un Prélude du troisième acte de rêve, ne succombant pas à la tentation de confondre l’éclat et le bruit – pas seulement pour ménager la protagoniste. Reste à savoir si l’on entend vraiment les couleurs de Carmen.

D.V.M.

Lire notre édition de Carmen : ASO n° 26.


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Scène d'ensemble. Photo Forster.