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Georg Zeppenfeld (Sarastro), Julia Kleiter (Pamina).

 

On avait peu aimé son Don Giovanni, encore moins ses interminables Noces – heureusement relevées par la mise en scène de Claus Guth : sa Flûte nous laisse de nouveau sceptique. Certes Nikolaus Harnoncourt dirige le Concentus Musicus au lieu de la Philharmonie de Vienne. Une première à Salzbourg, une aubaine pour le chef, auquel plus rien ne résiste. Sans doute y gagne-t-on une « vérité » sonore, là où l’illustre phalange ne pouvait se défaire complètement de ses courbes sensuelles et de son legato légendaire – tout ce qu’avait exalté un Riccardo Muti dans les productions précédentes. Il y a ici quelque chose de plus franc, on goûte un vin encore frais mais jamais âpre et déjà rond – les cordes sonnent aussi plus modestement, ce qui renouvelle les équilibres sonores et les alliages de timbres. Mais Harnoncourt a, surtout, revu de fond en comble les indications de tempo, s’autorisant d’un salutaire retour aux sources et invoquant la vérité des situations. Il n’en faut pas plus pour surprendre à chaque instant, par de perpétuels infléchissements, dont la surenchère frise l’affectation : Papageno s’attarde sur l’article de son « Der Vogelfänger », « Schnelle Füsse » traîne les pieds, « Ach ! ich fühl’s » se hâte. Cela dit, l’ensemble, malgré de superbes moments isolés comme la Marche des prêtres ou la Scène des épreuves, a plutôt tendance à s’étirer – les dialogues ont beau avoir leur tempo, le deuxième acte dure une heure trois quarts… En voulant exalter le théâtre, Harnoncourt l’anémie, pris au piège d’une authenticité dont, paradoxalement, il souligne lui-même les limites. Ce qui devait aller de soi paraît artificiel et déstructuré. Eternelle question de la poussière pour les uns et de la patine pour les autres. Quoi qu’il en soit, osons le mot : ce qui a régalé beaucoup nous a passablement ennuyé.

Harnoncourt est un complice de longue date du nouvel intendant du festival, le flamboyant Alexander Pereira, qui l’a si souvent invité à Zurich – il y a, justement, dirigé une Flûte enchantée en 2007, pérennisée par le DVD. A Zurich a également travaillé le metteur en scène de la production salzbourgeoise, aujourd’hui directeur à Dortmund, Jens-Daniel Herzog. Celui-ci se signale d’emblée par une qualité : une direction d’acteurs pertinente et affûtée, sinon très tendue, qui évite les excès ou les lacunes qu’aurait pu entraîner une lecture privilégiant plutôt la dimension symbolique – Papageno ne semble pas moins « vrai » que la Reine de la nuit ou Tamino. La balance se maintient, aussi, entre la substance du conte – animaux sauvages assaillant Tamino, épreuves de l’eau et du feu dans une atmosphère de science-fiction – et son interprétation proprement dite. Dans un décor coulissant qui redouble les arcades du Manège aux rochers et permet de créer le labyrinthe de la recherche initiatique de la vérité, le metteur en scène installe à la fois un pensionnat et une clinique psychiatrique… à moins qu’il ne s’agisse d’une maison de redressement et d’un laboratoire de scientologie. Ainsi naît une intéressante ambiguïté : quelle est donc la sagesse enseignée par ces blouses blanches, que rend vite suspectes la violence dont elles usent ? Faut-il à ce point contraindre le désir et l’individu, qu’est censée incarner ici la Reine de la nuit ? La fin, du coup, rassure et déroute : tandis que la mère de Pamina et Sarastro s’étranglent mutuellement, Papageno, arrivé au début de l’opéra dans sa camionnette de marchand d’oiseaux, promène sa progéniture avec Papagena… comme Tamino et Pamina. L’emblème solaire de Sarastro, naguère relié par un tuyau à son cerveau, n’est plus, entre les mains de Tamino, qu’un jouet pour enfants. Plus de lumière et de ténèbres opposées, plus de maîtres et de serviteurs séparés : c’est la victoire de l’humanité recomposée, réconciliée dans un hic et nunc assumé, pendant que se dégagent les arcades illuminées du Manège – une belle image.

Vocalement, c’est homogène mais pas exceptionnel – même si l’on oublie les grandes distributions du passé. Retenons d’abord la Pamina lumineuse, au phrasé très pur, de Julia Kleiter, déjà à Zurich en 2007 et hier Zdenka à Bastille – on comprend pourquoi, quatre heures avant, elle s’économisait dans la Grande messe solennelle de Berlioz dirigée par Riccardo Muti. Beau Tamino aussi de Bernard Richter, que Salzbourg hisse au sommet : la voix, la ligne, la tendresse et la vaillance sont celles du Prince qui, sans doute, acquerra bientôt le rayonnement de l’élu. Son humanité en fait encore le grand frère du Papageno de Markus Werba, désormais installé dans son oiseleur impeccable, moins gouailleur ou canaille, plus retenu que d’autres. Humain trop humain, en revanche, le Sarastro mandarin chef de secte de Georg Zeppenfeld, dont la noblesse stylée pâtit un peu d’un manque de bronze dans le timbre et de profondeur dans les graves. Pas de quoi inquiéter assez la Reine de la nuit solide de Mandy Fredrich – aux vocalises impeccablement égrenées, jusqu’à de très justes contre-fa – qu’on voudrait seulement un rien plus incisive et plus ténébreuse. Autour d’eux, un ensemble de qualité – mis à part Rudolf Schasching, autre rescapé de la production zurichoise, incapable de chanter la moindre note de Monostatos – avec un Sprecher de bonne tenue (mais sans grandeur) de Martin Gantner, et, surtout, les trois jeunes garçons du chœur de Tölz.

La dernière grande Flûte salzbourgeoise n’en reste pas moins… allons, on a dit qu’on oubliait…

D.V.M.

Lire aussi notre édition de La Flûte enchantée, ASO n°196.


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Bernard Richter (Tamino), Mandy Fredrich (la Reine de la nuit). Photos Monika Rittershaus.