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Patricia Petibon (Susanna), Malin Bystrom (la Comtesse Almaviva), KateLindsey (Cherubino).

 

D’abord, une belle histoire : en 2008, le Festival d’Aix-en-Provence réserve un chaleureux accueil à une « petite » production montée dans la cour de l’Hôtel Maynier d’Oppède – une Infedeltà delusa de Haydn dirigée avec brio par Jérémie Rhorer (qui reçoit alors le prix Gabriel-Dussurget pour ses interprétations de Mozart) et mise en scène avec astuce par Richard Brunel. Les deux capitaines de ce frêle esquif avec, à son bord, de tout jeunes artistes, ne sont pas inconnus – Rhorer a « explosé » au Festival de Beaune deux ans auparavant, Brunel a une carrière théâtrale déjà consistante – mais représentent une génération nouvelle en pleine éclosion. Quatre ans plus tard, le tandem revient au Festival par la grande porte, avec l’une des productions phares de la programmation : un Mozart au Théâtre de l’Archevêché, qui plus est Les Noces de Figaro ! C’est donc avec un regard et une oreille un rien complices, mi-attendri, mi-rengorgé, que le public festivalier leur fait fête.

Musicalement, l’impression se situe aux antipodes de l’expérience David et Jonathas : ici, c’est bien la direction de Jérémie Rhorer qui donne à la soirée son brio, sa verve, sa grâce mozartienne enfin, grâce à une palette de nuances orchestrales, un soin de l’équilibre des timbres à la fois individualisés et fondus, qui confèrent au Cercle de l’Harmonie suffisamment d’énergie et de lumière intérieure pour ne pas disparaître dans la fosse de l’Archevêché. Rien de maigre ou de sec, mais une ductilité vif-argent qui remplit l’espace acoustique de sa charge électrique sinon de son volume. Quitte à se répéter, on redira l’incroyable mélange d’autorité sereine et de fraîcheur juvénile qui émane de Jérémie Rhorer, ainsi que la beauté intrinsèque de sa gestuelle – une musique visuelle à elle seule. En revanche, le plateau vocal est nettement moins homogène que celui qui défend Charpentier : si les chœurs – toujours les Arts Florissants – sont impeccables, un véritable fossé sépare quelques interprètes aux moyens sûrs et d’autres aux manquements difficilement acceptables ici. Parmi les présences indéniables, Patricia Petibon colore une Susanna très singulière, qui évite tout écho involontaire aux canons historiques de son personnage vocal. Kyle Ketelsen s’y accorde fort bien, sans pourtant fouiller toutes les zones de son Figaro. Si Cherubino est menu de timbre, Kate Lindsay n’en est pas moins bluffante de crédibilité et de nuances – c’est la fragilité adolescente incarnée, jusque dans ses grâces enfantines venant recouvrir les élans du désir : son travail avec Rhorer nous fait redécouvrir une salvatrice attention à la nuance infime. John Graham-Hall enfin dessine un Basilio parfaitement mielleux et frustré. Le Comte de Paulo Szot porte beau de silhouette et de timbre, mais manque néanmoins de profondeur noire et grave. Marcellina (Anna Maria Panzarella) tire du jeu son épingle… comme la Barbarina de Mari Eriksmoen. Malheureusement, Malin Byström semble bien encombrée dans la vocalité de la Comtesse, tessiture et prononciation mêlées. Moins important mais plus gênant encore est le Bartolo de Mario Luperi dont chaque son semble émis d’un gosier différent. Quant au jardinier erratique de René Schirrer – un mauvais soir ? Reste quand même un bon plateau, crédible et qui se donne à fond dans la proposition inventive de Richard Brunel.

Car le metteur en scène nous offre l’autre plaisir de la soirée : des Noces à la fois revisitées, surprenantes et respectueuses. Si le château classique du Comte est devenu un cabinet d’avocat contemporain, c’est pour retrouver une dimension présente chez Beaumarchais et plus effacée chez Da Ponte : le grand-écart permanent de l’homme de loi (ce qu’est le Comte) qui s’octroie des passe-droits sans morale. Les décors extrêmement ingénieux de Chantal Thomas, reposant sur une architecture mobile qui intrique et module les différents espaces (privés et publics, intérieurs et extérieurs), les lumières de Dominique Borrini, participant de cette architecture comme d’une cinématographie poétique, servent une scénographie fluide et sans coupure, dont le tourbillon permanent trouve son équivalent dans celui, incessant, d’une direction d’acteurs qui contrepointe l’action en continu. Cela tient à la fois de la fourmilière besogneuse des serviteurs du Comte, et de la ruche industrieuse et soumise à sa Reine – ici, plutôt son Bourdon ! La scène est volubile autant que Da Ponte et Mozart peuvent l’être, et met en avant des Nozze virevoltantes avant tout. C’est le ton d’une équipe, d’une jeunesse, d’un esprit certes plus revigorants plus que mélancoliques. Place à la vie – cela fait parfois du bien.

C.C.

Lire notre édition des Noces de Figaro, ASO n° 135-136.

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Patricia Petibon (Susanna). Photos Pascal Victor / ArtComArt