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Leïla (Sonya Yoncheva).


Commençons par la « perle » de la soirée : la Leila de Sonya Yoncheva, à la voix longue, fruitée et veloutée, ambrée dans le bas-medium, à la vocalise déliée et sul fiato, aux aigus plus brillants que limpides mais aux nuances raffinées et à l’engagement dramatique prenant. Elle donne chair et lumière au personnage, et l’investit pleinement avec sa remarquable richesse de moyens musicaux et stylistiques. Son Nadir (Dmitry Korchak) ne démérite pas, qui ose des mezza voce subtiles et offre un timbre charmeur que seul l’extrême aigu durcit un peu mais qui, dans l’ensemble de la tessiture lunaire du pêcheur amoureux, parvient à susciter le rêve. André Heyboer est un Zurga sonore mais à l’émission chargée ; Nicolas Testé (Nourabad) offre une vocalité plus franche et décisive, à la belle autorité. Tous sont hélas souvent écrasés par la direction tonitruante de Leo Hussain à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Radio France : il semble pousser cuivres, percussions et couleurs fauves pour prouver la valeur de la partition et son intensité dramatique, quand sa finesse d’atmosphère, ses redondances aussi, ainsi que l’acoustique de l’Opéra-Comique mériteraient plus de retenue et d’architecture de l’énergie. Ceci est d’autant plus frappant que le chœur Accentus est plus oratorien que lyrique, assez clair de présence – et, qualité qui en découle, de diction.

La mise en scène de Yoshi Oida et Daniela Kurz (qui signe également la chorégraphie) offre une scénographie élégante : un camaïeu de bleus colore les costumes japonisants de Richard Hudson, aussi étudiés que discrets ; le décor de Tom Schenk s’en tient à un espace brossé de bleu également, habillé de rares éléments de bois (nasses, perches, pontons) que les lumières de Fabrice Kebour réchauffent habilement. Le tout dessine un bord de mer asiatique et universel à la fois, un lointain légendaire et intemporel esthétiquement réussi. Malheureusement, la chorégraphie – pourtant fondue dans le décor – « perce » parfois au point de faire sourire, et s’immisce même dans les moments les plus élégiaques qui se suffiraient à eux-mêmes. Le chœur, qui se veut traité « à l’antique », accumule les poses frontales inexpressives et se déplace avec une neutralité bien dommageable quand le livret évoque une panique collective… Autre regret – mais lequel ! –, la direction d’acteurs est à mille lieues de l’esthétisation raffinée de cet univers : poses archétypales, mouvements mal dosés, paroles du livret surlignées du geste… on ne reconnaît pas là la finesse de travail de Yoshi Oida, et lorsque ces manquements s’appliquent à des artistes eux-mêmes assez patauds – c’est le cas d’André Heyboer, et dans une moindre mesure de Nicolas Testé –, ils tendent de façon regrettable une perche à la posture moqueuse.

La pêche est donc mitigée, mais recèle des trésors que l’on s’en voudrait de ne pas rappeler : à elle seule, la Leila de Yoncheva vaudrait le voyage à Ceylan, et à la salle Favart.

C.C.

 Lire notre édition des Pêcheurs de perles, ASO n° 124.


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Nourabad (Nicolas Testé) et Leïla (Sonya Yoncheva). Photos Pierre Grosbois