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Pat Nixon (June Anderson), Nixon (Franco Pomponi), Chou En Lai (Kyung Chun Kim), Henry Kissinger (Peter Sidhom).

 

Nixon in Paris

 Pari gagné pour la toujours stimulante programmation du Théâtre du Châtelet : le retour en France de Nixon in China de John Adams, 25 ans après sa création à Houston (1987) et 20 ans après sa première française (Bobigny 1991), est une pleine réussite. Que ces vingt années de distance ne trompent pas : si la France a persisté à ignorer l’ouvrage de John Adams après le passage à Bobigny de la production originelle de Peter Sellars, il est pourtant devenu désormais un classique du répertoire, internationalement reconnu. Il était temps que Paris l’accueille à son tour.

La partition, riche en longs monologues déployés sur des tessitures longues et tendues, réclame un quatuor vocal de choc pour incarner les deux couples « présidentiels ». Parfaitement crédibles physiquement (quoique Franco Pomponi ait plus la silhouette d’un Reagan que d’un Nixon !), les quatre protagonistes réunis par le Châtelet sont à leur affaire, même si quelques faiblesses pointent ici ou là. June Anderson est une Pat Nixon sensible, pas parfaitement à l’aise dans des aigus plus contraints que lumineux ni dans un bas-medium peu sonore, mais touchante et présente. Franco Pomponi est plus vrai que nature dans son rôle de Président républicain : vrai cow-boy en costume, qui séduit autant par sa virilité qu’il amuse par sa naïveté ; il y a dans son chant comme dans son jeu une franchise ludique qui accroche le regard et l’oreille. Ironie de la distribution, les trois personnages chinois sont interprétés par trois Coréens – « inexactitude » que le public français au regard peu aiguisé prendra pour un heureux hasard visuel. Alfred Kim est un Mao exact et impénétrable, assumant l’écriture excessive d’Adams qui en fait un ténor tantôt criard tantôt éteint ; Sumi Jo, elle aussi à l’aise dans la tessiture redoutable d’une Madame Mao colorature et vindicative, manque néanmoins d’ampleur vocale pour exprimer la menace qui se cache derrière ses aigus dardés. Figure la plus attachante peut-être d’un livret complexe – métaphorique et allusif –, Zhou Enlai a le fin mot de l’histoire, qu’il observe de sa sagesse muette plus qu’il n’y participe ; Kyung Chun Kim y est juste et poétique. Le troisième Américain est Kissinger, un Kissinger que le livret dédouble en faisant participer son « jumeau » – assoiffé de sexe et de violence ! – au grand ballet propagandiste représenté devant la délégation américaine. C’est une des scènes les plus cocasses de l’ouvrage, et Peter Sidhom s’y lâche en une composition bouffe et carnassière.

A la tête de l’Ensemble de Chambre de Paris (ex-Ensemble Orchestral de Paris), Alexander Bridger mène un Nixon alerte et vivant, entravé par quelques imprécisions du chœur mais sans gravité. Une palette de nuances plus fine aurait néanmoins permis un meilleur équilibre avec le plateau – la partition prévoyait la sonorisation des chanteurs tant l’orchestre, cuivré et pêchu, dépasse le cadre habituel des rapports « classiques ».

Autre réussite de cette production : sa mise en scène — confiée au Chinois Chen Shi-Zheng –, qui parvient à rester fidèle au livret tout en proposant un dépouillement abstrait bienvenu. Pas d’avion ici, seulement sa passerelle – les Nixon descendant des cintres sur une machinerie quasi baroque ; pas de décors successifs pour les visites de Pat, mais des objets d’art enchâssés qui se déplacent autour d’elle comme des reliques figées. Loin d’un réalisme anecdotique, ces images choisies et parcellaires installent un regard concentré et scrutateur sur le sens des choses, d’autant que la direction d’acteur fait joliment vivre les caractères. Le metteur en scène signe aussi les chorégraphies, dont on retiendra un « Flesh rebels » pop et acidulé. Costumes dynamiques de Petra Reinhardt, dont la gamme de couleurs rares et intenses (anis, fuschia, indigo, malachite…) semble s’accorder à la nationalité de l’artiste-designer responsable des décors : l’Indienne Shilpa Gupta, qui sait oser une sobriété parlante, et poser un regard contemporain sur cet ouvrage de 1987 parlant de 1972. Le lustre de la réception est ainsi le parfait croisement des seventies et de l’ère numérique, quand le split screen accompagnant le prélude renvoie dos à dos les mirages de la Révolution Culturelle et de l’American way of life, distillant autant d’indices de lecture pour la suite de l’ouvrage. Une production fort intelligemment menée.

C.C.

A lire : L'Avant-Scène Opéra n°267, mars 2012

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Pat Nixon (June Anderson).


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Madame Mao (Sumi Jo). Photos : Marie-Noëlle Robert-Théâtre du Châtelet