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Dongwon Shin (Manrico), Hiromi Omura (Leonora) et Gregory Dahl (conte di Luna).

 

À peine plus d'un an après l'Opéra de Québec, voici que la compagnie montréalaise relève à son tour le défi de présenter Il Trovatore. Si, en raison de la direction musicale et de la mise en scène, cette production ne passera sûrement pas à l'histoire, elle possède néanmoins le grand mérite de réunir une équipe de chanteurs d'un très bon niveau, à défaut d'être exceptionnel. La Japonaise Hiromi Omura, dont la Butterfly avait beaucoup ému le public de Montréal en 2008, chante ici sa première Leonora ; malgré une prudence bien compréhensible et quelques notes aiguës carrément escamotées, c'est elle qui nous gratifie des plus beaux moments de la soirée. Sa voix se plie bien aux longues phrases musicales de Verdi, qu'elle détaille avec délicatesse. Lui font cependant défaut les pianissimi éthérés qui sont le propre des plus éminentes verdiennes, une meilleure diction ainsi qu'un réel tempérament dramatique. Face à cette Leonora un rien trop placide, le Manrico du Coréen Dongwon Shin se démarque par son énergie et la puissance de sa voix, mais manque parfois de legato, en particulier dans un « Ah ! si, ben mio » dénué de charme véritable. C'est l'expression de la colère et des sentiments belliqueux qui lui réussit le mieux, comme le démontre un fracassant « Di quella pira » des plus spectaculaires. Le comte di Luna trouve pour sa part en Gregory Dahl un interprète sensible, à la voix large et aux aigus faciles, qui compose un personnage davantage habité par sa passion pour Leonora que mû par les instincts barbares que lui dicte son amour contrarié. Faisant lui aussi ses débuts dans ce rôle, le baryton manque peut-être un peu de mordant, mais impressionne par sa superbe musicalité et une forte présence scénique. Laura Brioli campe une Azucena qui se distingue plus par sa véhémence que par la beauté de son timbre, de même qu'Ernesto Morillo, qui prend du temps à trouver ses marques en Ferrando. En ce qui concerne les chœurs, on observe un déséquilibre assez étonnant entre la bonne tenue des femmes et une certaine mollesse chez les hommes.

Dans la fosse, Francesco Maria Colombo cisèle avec goût les moindres nuances de la partition, ce qui lui permet d'obtenir de l'Orchestre symphonique de Montréal et de ses chanteurs d'infinies nuances que négligent la plupart des chefs. On regrette d'autant plus que ce souci apporté aux détails – qu'on avait déjà pu apprécier dans Roberto Devereux (2010) –– ne se double malheureusement pas ici d'une réelle intensité dramatique, de cette nervosité sans laquelle Il Trovatore ne devient qu'une succession de beaux airs. À cette lecture quelque peu anémique s'ajoute, hélas, une réalisation visuelle bien décevante. Dans des décors minimalistes dont le concepteur n'est pas identifié, Oriol Tomas a du mal à animer les scènes de foules et n'arrive qu'à donner des attitudes convenues aux solistes. Le metteur en scène nous avait pourtant prouvé avec éclat l'an dernier, dans Le Consul de Menotti, comment il peut nous faire redécouvrir une œuvre. Est-ce l'immense scène de la salle Wilfrid-Pelletier qui l'a intimidé, ou serait-ce plutôt le côté échevelé du livret qui l'a décontenancé ? Toujours est-il que le plateau ne prend jamais vraiment vie. Tomas opère en outre certains choix difficilement défendables, comme le fait de faire fuir Leonora à toutes jambes dans les coulisses au début de « Di quella pira », alors que Manrico doit alors s'adresser à elle. Et que dire de la scène finale, où le trouvère succombe à ce qui ressemble de loin à une simple gifle... On l'aura compris : c'est d'abord et avant tout pour ses qualités vocales que ce Trovatore vaut le détour.

  L.B.


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Hiromi Omura (Leonora) et Gregory Dahl (conte di Luna).


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Hiromi Omura (Leonora). Crédit : Yves Renaud