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Robert Pomakov (Vodnik) Kelly Kaduce (Rusalka).

 

Le répertoire tchèque réussit décidément bien à l'Opéra de Montréal : après les productions inoubliables de Jenůfa (1997) et de Kátia Kabanová (2000), voici une Rusalka d'une grande poésie visuelle et servie par une équipe de chanteurs globalement exceptionnelle. Coproduit par le Minnesota Opera et le Boston Lyric Opera, le spectacle repose d'abord et avant tout sur des projections qui inondent littéralement tout l'espace scénique afin de nous plonger au plus profond des eaux, ou en plein cœur d'une forêt, sur les bords d'un lac. Grâce à une technologie des plus sophistiquées, la nature semble prendre vie devant nos yeux avec sa riche palette de couleurs chatoyantes ; en un contraste saisissant, le deuxième acte – celui des hommes et de leur cruauté – se déroule quant à lui dans une grisaille quasi totale, qui se retrouve même dans les costumes noirs, gris ou blancs de tous les personnages, à l'exception de la robe écarlate de Rusalka, symbole éloquent de son appartenance à un univers foncièrement différent. La mise en scène d'Eric Simonson (reprise à Montréal par Bill Murray) souligne à juste titre l'impossible réconciliation de ces deux mondes, notamment lorsque Rusalka tente en vain de se joindre aux festivités des noces et que Vodník passe inaperçu au milieu de la foule des invités. Également riches de sens, les danses des humains s'achèvent dans la discorde, alors que les évolutions des nymphes des bois (trois danseuses qui doublent les chanteuses) traduisent l'harmonie de la nature.

En retrouvant une partition qu'il a déjà dirigée à Toronto et à Prague, le chef John Keenan accompagne merveilleusement ses chanteurs et sait galvaniser  l'Orchestre Métropolitain qui sonne fort bien, en particulier dans les passages élégiaques, avec une section des cordes remarquable. Dans le rôle-titre, la soprano américaine Kelly Kaduce se révèle admirable à tout point de vue. Oublions bien vite ses quelques fausses notes pour souligner à quel point la voix est ample, généreuse, richement timbrée et capable de grandes nuances. Cette Rusalka vit sa passion avec intensité et noblesse. Tout aussi impressionnant, Khachatur Badalyan campe un magnifique prince qui se distingue par un chant d'une très grande classe et qui parvient à donner sans crier (comme l'indique Dvořák) le contre-ut du dernier acte. Autre superbe artiste, Robert Pomakov compose un Vodník extrêmement touchant dans sa relation avec sa fille et dont la riche voix de basse fait merveille dans son air du deuxième acte. Sans atteindre à ces sommets, Liliana Nikiteanu est une Ježibaba truculente mais à la voix un peu légère, au contraire d'Ewa Biegas, qui, en princesse étrangère, éprouve en un premier temps du mal à contrôler son volume sonore avant d'offrir un portrait puissant de la rivale de Rusalka. Les trois nymphes (Chantale Nurse, Aidan Ferguson et Emma Parkinson), toutes formées à l'Atelier lyrique de l'Opéra de Montréal, forment un ensemble d'une belle homogénéité ; Pierre Rancourt s'acquitte bien du bref rôle du chasseur. À cette distribution manquent le garde forestier et le marmiton, personnages ici malheureusement supprimés. C'est là le seul regret véritable que l'on peut émettre en regard de ce très beau spectacle monté visiblement avec beaucoup de soin et qui permet aux spectateurs montréalais de découvrir plusieurs artistes inspirés.

  L.B.

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Kelly Kaduce (Rusalka) et Khachatur Badalyan (le Prince). Crédit : Yves Renaud