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Voici donc le retour de la Maison morte de Janáček réalisée en 2007 par Patrice Chéreau et Pierre Boulez, quatre ans après sa création, cette fois hors du territoire de ses coproducteurs. Mais à la Staatsoper Berlin (délocalisée pendant les travaux au Schiller Theater), on reste dans la mouvance Daniel Barenboïm / Scala de Milan – Stéphane Lissner, initiateur de ce miracle, étant bien sûr présent à la première.

Que l’on ait demandé à Simon Rattle, patron des Berliner Philharmoniker, de diriger ces six représentations est évidemment l’intérêt majeur de cette reprise pour laquelle toute l’équipe créatrice s’était déplacée et remise au travail. Contrairement à Pierre Boulez, dans la carrière duquel Janacek était une aventure tardive, Rattle défend depuis déjà longtemps ce compositeur dont il a dirigé au festival d’Aix-en-Provence L’Affaire Makropoulos, au Royal Opera House une légendaire Petite renarde rusée, et réalisé des enregistrements de référence de la Sinfonietta et de la Messe glagolitique.

La première a eu lieu le jour de la fête nationale allemande, désormais fixée au jour anniversaire de la Réunification, la privant certainement d’un certain lustre mondain et protocolaire ; mais le relativement petit Théâtre Schiller de la Bismarck Strasse, situé à quelques centaines de mètres de la Deutsche Oper (et scène principale de théâtre classique du temps de Berlin-Ouest) était plein d’un public fervent et connaisseur qui a réservé un accueil triomphal à cette Maison morte.

Ce spectacle, que l’on voyait pour la troisième fois après Amsterdam et Aix-en-Provence (la première avait eu lieu aux Festwochen de Vienne avant des reprises à Milan et New York), a la double vertu de paraître toujours identique, avec la griffe Chéreau – impeccabilité de la direction d’acteurs, perfection esthétique glaçante, options de mise en scène passionnantes –, et toujours un peu différent du fait même de son adaptabilité à la taille de la salle et aux dimensions de sa scène. Le Schiller Theater est probablement, de tous les coproducteurs, celui qui se rapproche le plus des conditions originales au Theater an der Wien. L’imposant dispositif coulissant évoquant l’univers carcéral de Richard Peduzzi y est un peu plus à l’étroit mais l’espace de jeu n’en est que plus resserré, plus étouffant, et le drame plus lisible. La relative petitesse de la fosse permet une présence plus enveloppante du flot orchestral qu’avec Boulez. Différence de taille, la direction de Simon Rattle à la tête de la Staatskappelle Berlin est beaucoup plus effusive, plus présente, sans pour autant sacrifier à la précision ni à la mise en évidence de la splendeur des timbres instrumentaux. Mais, plus que chez Boulez – dont la précision rythmique et le pouvoir dissecteur sont notoires –, on entendait frémir le peu de chaleur, les quelques étincelles d’humanité, les quelques chants d’oiseau et rares bruits venus de l’extérieur dont Janacek a saupoudré sa partition la plus noire.

Quelques interprètes ont changé depuis 2007 : exit pour le meilleur Olaf Bär, remplacé par l’admirable Willard White en Alexandre Petrovitch Goryantchikov ; remplacement au dernier moment de Roman Trekel (Chichkov) par un très étonnant Pavlo Hunka. Mais Chéreau a eu le pouvoir et la chance de renouveler le miracle, donnant une vie et un relief saisissants au collage réalisé par Janacek en 1928 en taillant dans Les carnets de la maison morte de Dostoïevski, qui racontent avec naturalisme et crudité ses quatre années passées au bagne d’Omsk en Sibérie. Les grands piliers de cette production restent bien sûr le chœur, ici le Staatsopernchor magnifiquement préparé par Eberhard Friedrich, les comédiens assurant les rôles muets, qui sont différents de ceux de 2007, et le noyau dur des chanteurs : l’halluciné Skouratov de John Mark Ansley, le terrifiant Commandant de Jiri Sulzenko, le très vieux prisonnier d’Hans Zednik, le merveilleux Alyeya d’Eric Stocklossa, le prisonnier jouant Don Juan d’Ales Jenis, tous unis dans une même fraternité, fortes individualités formant un tout indissociable. Un spectacle coup de poing à l’impact inépuisable dont ne sort jamais indemne.

O.B.

Jusqu’au 17 octobre. Staatsoper Berlin im Schiller Theater.


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Photos © Monika Rittershaus