OEP159_1.jpg


Bureaucratie de la terreur

Ultime nouvelle production de la saison, la dernière de Kirsten Harms – laquelle quitte la Deutsche Oper après sept ans d’intendance –, Macbeth de Verdi revient après dix-huit ans d’absence à l’affiche de la maison de la Bismarck Strasse, historiquement l’Opéra de Charlottenburg reconstruit dans le secteur occidental de Berlin à l’époque de la division.

Importé de l’Opéra de Cologne où il fut créé en 1998, le Macbeth de Robert Carsen succède dans cette maison à ceux de Carl Ebert (1939, avec la Lady de Sigrid Onegin), de Gustav Rudolf Sellner (1963, avec Dietrich Fischer-Dieskau et James King) et de Luca Ronconi (1980, si superbement dirigé par Giuseppe Sinopoli avec Bruson, Sass et Luchetti). Ce brin d’histoire pour souligner que cette nouvelle production n’est pas prête d’éclipser le souvenir de la dernière que la Deutsche Oper a gardée treize ans à son répertoire.

Robert Carsen situe le drame shakespearien dans une dictature de l’Est de l’Europe à la fin des années quatre-vingt. Macbeth et sa Lady sont un couple de dictateurs avides de pouvoir qui pourraient bien être les époux Ceaucescu, pourquoi pas, les décorateurs de cette production (Radu et Miruna Boruzescu) étant originaires de Bucarest. Derrière ce tandem sanguinaire agit toute une force bureaucratique obscure menée par le Général Banquo et un contre-pouvoir secret qu’incarne le Clan Macduff. Les sorcières forment une autre armée, celle des femmes de ménage au service du palais. On imagine aisément que cette lecture politique fonctionne plutôt bien mais on est bien loin de la poésie des brumes écossaises. à la fin, le nouveau roi est un autre général et le système bureaucratique totalitaire se perpétue. Si la mise en scène est réalisée avec le soin extrême de direction d’acteurs et d’éclairages subtils que l’on connaît à Robert Carsen, on retrouve aussi ses manies : utilisation longitudinale de la scène, multiplication des figurants et obsession du mobilier.

Musicalement, la déception est grande car la première des deux distributions affichées est bien faible. Le baryton bulgare Anton Keremidtchief a certes les moyens du rôle-titre, mais manquent le velours du timbre et surtout le cantabile. L’investissement est trop monotone pour que l’on sente un véritable désir introspectif dans son interprétation. La mezzo russe Anna Smirnova chante sa Lady à l’arraché, toujours en puissance et sans finesse. Elle en fait certes un véritable personnage mais ne l’habite pas vocalement. Le Banquo de la basse croate Ante Jerkunica est solide mais un peu limité dans l’expression lyrique du rôle. Comme souvent, c’est Macduff qui a remporté l’applaudimètre. Le ténor slovaque Pavol Breslik n’est pas un inconnu à Berlin, ayant fait partie de la troupe de la Staatsoper dans la décennie précédente avant de prendre son envol, notamment aux côtés de sa compatriote Edita Gruberova. Avec le formidable « Patria oppressa » par un chœur superlatif (dans ce passage seulement), on lui doit un des deux seuls moments de grâce musicale de la soirée. Il a chanté « O figli miei » avec sûreté, élégance et ardeur. Le pire enfin reste à la charge du chef Roberto Rizzi Brignoli. On sait que la musique de fosse de Verdi est une denrée délicate, avec ses excès et ses fragilités. Faute d’une volonté de gommer cela et d’obtenir un fondu harmonique, on sombre aisément dans le pire, la trivialité de la musique de fanfare. C’est hélas le sort que ce chef italien a réservé ce soir-là à la partition, couvrant beaucoup les chanteurs et ne rachetant par aucun souci poétique le parti pris esthétique politique de Carsen.

O.B.

Prochaines représentations : les 19, 21, 24, 28, 30 juin et 3 juillet 2011.


OEP159_2.jpg