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Pour sa production printanière, l'Opéra de Québec présente une Chauve-Souris chantée en français, qui conserve néanmoins les noms originaux des personnages. L'idée est excellente et mieux vaut conserver les noms Eisenstein et Falke plutôt que Gaillardin et Duparquet comme dans l'adaptation française habituelle, d'autant plus que l'action n'est pas ici transposée à Paris mais se déroule bel et bien à Vienne, comme en fait foi l'omniprésente toile de fond, qui représente l'image stylisée du palais impérial (Michaeltor) des Habsbourg. Dans cet élégant dispositif scénique créé pour l'Opéra de Philadelphie, quelques éléments de décor suffisent pour suggérer le salon d'Eisenstein, la salle de bal chez le prince Orlofsky ou la prison du dernier tableau. Le metteur en scène François Racine sait bien habiter cet espace et diriger ses interprètes avec un sens du rythme jamais pris en défaut. Le spectacle avance allègrement, sans temps mort, avec des dialogues qui jamais ne ralentissent le déroulement de l'action. Dans cette perspective d'efficacité dramatique, les deuxième et troisième actes s'enchaînent sans interruption, avec la pétillante Tritsch-Tratsch-Polka en guise d'interlude. Si le personnage du geôlier Frosch, joué par l'excellent comédien Jack Robitaille, se voit relégué au rang de personnage secondaire (contrairement à la tradition viennoise qui lui réserve un début de troisième acte désopilant qui en fait un rôle de premier plan), l'intrigue n'en avance que plus rapidement. Quelques allusions à la politique municipale et aux récentes élections canadiennes ajoutent un peu de piquant à un spectacle à la mécanique bien huilée. Particulièrement heureuses nous semblent les scènes du premier acte avec Alfred : François Racine prend plaisir à ramener constamment en scène l'amoureux de Rosalinde, qui, tel Cherubino dans Les Noces de Figaro, se blottit dans un fauteuil afin d'échapper au mari de madame. En revanche, le bal chez Orlofsky semble bien sage, avec des danseurs assez peu endiablés. De même, on souhaiterait un abandon plus complet aux effluves du champagne qui devrait se traduire par une volupté plus éloquente. 

À la tête d'un Orchestre symphonique de Québec en pleine forme, Alain Trudel propose une lecture dynamique et soucieuse des nuances de la partition. Très à l'aise dans son rôle d'Eisenstein, le ténor Marc Hervieux fait entendre une voix puissante et d'un beau timbre. Autre artiste chérie du public, Lyne Fortin campe une Rosalinde très crédible en grande femme du monde troublée par le retour de son soupirant d'autrefois. Si sa voix perd de son opulence dans des aigus parfois stridents, la chanteuse n'en demeure pas moins une fine musicienne, comme le prouve amplement son superbe csárdás, qu'elle chante en allemand (dès son arrivée au bal et non pas après le duo avec son mari, comme dans la partition). Très bonnes compositions de Marianne Lambert en Adèle et Patrick Mallette en Falke, ce dernier projetant ses dialogues de façon remarquable. Après un début de premier acte un peu hésitant, Éric Thériault révèle en Alfred une délicieuse voix de ténor, tandis qu'Ariana Chris possède un timbre agréable mais bien peu androgyne pour Orlofsky. Enfin, le chœur se montre plein d'enthousiasme et de précision dans une représentation des plus réjouissantes.

L.B.


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Photos : Louise Leblanc