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Bernard Richter (Atys)

Beaucoup d’attentes s’étaient accumulées sur l’événement primordial de la saison de l’Opéra-Comique, cette reprise de la production d’Atys de William Christie et Jean-Marie Villégier qui avait fait date en 1987. Le spectacle devenu « mythique » par la conjonction de son impact, à sa création, et de sa disparition, cinq ans plus tard, tiendrait-il ses promesses de hauteur de vue et de style ? La reprise, fausse reconstitution de ce qui était déjà faussement perçu comme une reconstitution, ne sombrerait-elle pas dans le plaqué ou le daté ? L’ampleur de l’enjeu et la noirceur de son objet – une tragédie lyrique des plus implacables –, n’enterreraient-ils pas Atys dans une solennité glacée de beau spectacle mortuaire ? Rien de tout cela. Depuis le jeudi 12 mai, Atys est, à l’Opéra-Comique, plus frais qu’un pin maritime sous le vent de la Méditerranée, plus vivant, palpitant et captivant que bien d’autres soirées sans apprêt.

Beauté absolue, d’abord, d’un univers visuel à la cohérence intérieure puissante mais qui ne sacrifie pas la fantaisie du détail. De bout en bout, les décors de Carlo Tommasi et les costumes de Patrice Cauchetier sont un éblouissement de goût, s’inspirant du Grand Siècle en l’habitant de leur vision sensible. Les couleurs du Prologue – costumes et toiles – sont dignes d’un Poussin, fraîches comme la pistache ou la rose en sucre ; l’humour y pointe en quelques arlequins trublions, comme plus tard le Fleuve Sangar de Bernard Deletré saura contrepointer la tragédie des deux amants. En un contraste saisissant et qui résume à lui seul la tragédie, les cinq actes se déroulent ensuite dans un décor unique qui révèle, derrière l’architecture classique, l’austérité du tombeau : faux-marbre noir pour ses parois aveugles, variation sur le noir et l’argent pour des costumes tous subtilement individualisés. C’est la nuit et sa lumière rare – griffure du diamant, bougies du sacrifice ou soleil trompeur du Sommeil –, qui accompagneront Atys et Sangaride jusqu’à leur mort.

Acteurs de cette tragédie, pour lesquels d’ailleurs détails de costume et de jeu ont été repensés, les interprètes réunis par William Christie sont tous de nouveaux venus dans l’aventure Atys à l’exception de Nicolas Rivenq (Célénus) et Bernard Deletré (le Temps et le Fleuve Sangar), déjà présents en 1987. Le trio de tête est impeccable : Emmanuelle de Negri (Sangaride) et Bernard Richter (Atys) forment un couple crédible et inspiré ; elle compense un volume parfois menu par un beau style, lui sert le rôle-titre d’une voix homogène et ronde constamment sur le fil des émotions les plus ténues ou les plus violentes. Malgré un bas-medium inégal, Stéphanie d’Oustrac est une Cybèle admirable et dangereuse, car autant femme que déesse. Les silences suspendus dans la salle après son « Espoirs si chers » de l’acte III, ou après la mort d’Atys (« Je suis assez vengé : vous m’aimez, et je meurs. ») disaient bien l’intensité avec laquelle ces personnages issus d’un théâtre d’il y a bientôt 350 ans nous happaient ici dans leur vérité immédiate. Grâce en soit rendue à la mise en scène de Jean-Marie Villégier, aussi élégante que frémissante, toujours vive et surprenante malgré le cadre symétrique qu’elle s’impose : parfaite synthèse de l’impératif formel et de la liberté des sens, d’une architecture des corps innervée de l’intérieur par la direction d’acteurs. Le même équilibre se retrouve dans les chorégraphies de feu Francine Lancelot retravaillées par Béatrice Massin, qui coulent les multiples ballets dans la tragédie avec un naturel confondant et une grâce permanente. Dans la fosse, William Christie délivre un Lully très ample et lyrique – un choix sensible dès son ouverture, au tempo vif mais au legato si moelleux. La fièvre est là, et le charme des couleurs instrumentales (bel ensemble de flûtes), et la justesse stylistique tout simplement, celle des Arts Florissants – dont le chœur, sur scène, est un régal.

Evidemment, standing ovation, évidemment, tout est complet. Il n’y a plus qu’à souhaiter que cet Atys-2011, en tournée bientôt (Caen puis Bordeaux en mai-juin, New York en septembre), n’entrera pas dans le même long sommeil que son prédécesseur, et n’aura pas besoin de bonne fée (ici, le mécène américain Ronald P. Stanton) pour se réveiller toujours et encore, et réveiller en nous ce mélange si rare d’admiration et d’émotion.

C.C.


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Emmanuelle de Negri (Sangaride) et Bernard Richter (Atys)

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Stéphanie d’Oustrac (Cybèle). Photos Opéra-Comique/Pierre Grosbois.