Admiration, reconnaissance, cordialité : c’est toute la gamme d’émotions qui est montée du public comme une vague, quand il a fait un triomphe à Georges Prêtre, à l’issue du concert donné hier au soir, salle Pleyel. Et même, déjà, à l’issue de la première partie (la Deuxième Symphonie de Brahms), alors même qu’elle n’était pas la plus jubilante ni la plus intacte de quelques scories dans le rapport entre le chef et l’orchestre (incertitudes de quelques attaques ou de quelques tempi). Georges Prêtre attendait peut-être à tort de l’Orchestre de l’Opéra de Paris la même spontanéité brahmsienne que celle inhérente à la phalange viennoise dont il est aujourd’hui Chef d’honneur à vie. Sa direction, toute d’intuition, avec la même élégance complice qu’un Kleiber et les mêmes moments de confiance totale aussi, laissait parfois nos Parisiens en manque de précision ou d’agogique. Mais à bientôt 87 ans, on comprend l’option plus enveloppée que lyrique, plus voluptueuse que lumineuse, prise par le chef – même si l’on y sent poindre une lourdeur ou une opacité qui n’ont pas fait de cette Symphonie le moment le plus réussi de la soirée. Et pourtant, c’est tout juste si le public ne réclamait pas déjà un bis à l’arrivée de l’entracte ! Public acquis ? Bien sûr, et c’est justifié quand il s’agit de célébrer la présence, l’activité toujours, et plus encore peut-être l’indéfectible sourire d’un des plus grands chefs du XXe siècle, l’un de ceux qui porta haut et loin les couleurs de la France dans le monde musical.

Reste que c’est dans la seconde partie que Georges Prêtre a semblé le plus en phase avec l’orchestre, et sa direction dansante et spirituelle, la plus pertinente. Une partie dédiée à la musique française, l’autre grand versant de la carrière symphonique du chef. Pour Les Biches de Poulenc d’abord : c’est joyeux, narquois, pétillant et pétulant, la couleur est là, et l’esprit, la lumière enfin. Pour la Deuxième Suite de Daphnis et Chloé ensuite, où Prêtre fait émerger du silence les premiers balbutiements sonores de la flûte, nous fait entendre le bruit du vent dans les feuillages et voir le Lever du Soleil, sentir sa chaleur de plus en plus rutilante. Soudain, tout est cristallisé : Ravel, la puissance sensuelle et fulgurante de son orchestration, et les musiciens tous emportés sous la baguette d’un grand. Tout éclate alors – le son, et « l’enthousiasme » dans son sens le plus ancien : comme possédé, le public exulte. Pour lui comme pour l’orchestre, il est un peu difficile et délicat de revenir ensuite au bis en apesanteur choisi par Georges Prêtre : une Barcarolle des Contes d’Hoffmann, clin d’œil au monde de l’opéra – home sweet home de l’Orchestre, et de Prêtre aussi, ô combien.

Il est des soirées chaleureuses qui font du bien. Celle-ci en était.

C.C.