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Tandis qu’à Paris se poursuit un Ring controversé, à Strasbourg s’en achève un qui a captivé, passionné de bout en bout, grâce principalement à la volonté de son metteur en scène David McVicar d’illustrer l’action avec les plus merveilleuses des images et de la rendre la plus lisible possible. Musicalement moins égale, cette Tétralogie n’en reste pas moins une très belle réussite, qui semble t-il ne devrait avoir aucun futur, ni sous forme de reprise, ni d’enregistrement.

Du metteur en scène britannique McVicar, on a toujours pensé qu’il est capable du meilleur comme du pire. Il est évidemment à son meilleur quand il se contente de raconter simplement comme il l’a fait tout au long des quatre volets de cette Tétralogie que l’on a suivie avec passion. Il serait injuste de limiter cette réussite au seul McVicar car il s’est entouré d’une excellente équipe : Rae Smith pour les décors, qui a su innover et surtout maintenir une logique dans une étonnant scénographie magnifiée par les éclairages virtuoses de Paule Constable ; les costumes de Jo van Schuppen alliaient sans aucune faute de goût les tendances orientales (mais surtout japonisantes), les masques remarquables dont la thématique récurrente pendant les trois journées a montré qu’elle tenait d’une logique imparable ; et surtout, sous le titre de directeur des déplacements, David Greeves qui a animé de nombreux figurants, comédiens, acrobates, danseurs, et créé du – vraiment – jamais vu pour incarner Grane et les chevaux des Walkyries, des chorégraphies incroyables pour les foules du Crépuscule.

Pour ne s’en tenir qu’à cette journée finale, on n’est pas prêt d’oublier, issue de l’extraordinaire livre d’images que restera ce Ring, l’hallucinante chorégraphie japonisante où les hommes de la tribu des Gibich se livrent à une démonstration réglée d’arts martiaux, ni le transport de la dépouille mortelle de Siegfried par les vassaux de la tribu de Hagen. Mémorable aussi la montée de Brünnhilde au bûcher tenant par la main l’homme-cheval Grane enfin libéré de son armature métallique, son hallucinant duo avec Waltraute au bord de la scène et tant d’autres images justes, sobres et frappant droit au but.Le « crépuscule » aura cependant épargné l’Orchestre philharmonique de Strasbourg que l’on a trouvé métamorphosé avec une belle justesse des pupitres (hormis les vents parfois fragiles) et un admirable fondu d’ensemble sous la direction du futur Directeur musical Marko Letonja. Ce chef slovène, qui avait déjà dirigé La Walkyrie (le projet initial étant de confier chaque unité à un chef différent), lie tous les aspects de l’orchestration wagnérienne, chambriste achevé, grandeur dramatique, sûreté des tempi et un grand respect des chanteurs. Métamorphose aussi pour la Brünnhilde de l’Américaine Jeanne-Michèle Charbonnet, une bête de scène aux faux airs de Gwyneth Jones, dont la voix a perdu de sa stridence et qui a resserré son vibrato (aux dépens certes de la projection, phénomène sans incidence pour un théâtre de la taille de l’Opéra de Strasbourg) : elle a été magnifique de bout en bout et n’a pas démérité dans sa scène d’immolation. On a retrouvé avec plaisir le vaillant Siegfried de l’Américain Lance Ryan, voix solide, compacte et endurante. Le monologue de Waltraute, la Danoise Hanne Fischer, a été un des points forts de la soirée. Filles du Rhin remarquables d’Anaïs Mahikian, Kimy Mc Laren et Carolina Bruck-Santos. Aussi belle que vocalement rayonnante était la Gutrune de Nancy Weissbach dont on peut s’étonner, s’agissant d’une scène frontalière, qu’elle soit le seul nom allemand de la distribution… Si le Gunther de Robert Bork se distinguait autant par sa prestance que vocalement, le Hagen de Daniel Sumegi et l’Alberich d’Oleg Bryjak n’étaient pas à la hauteur des autres éléments de cette cohérente distribution. Magnifique aussi le Chœur de l’Opéra du Rhin préparé par Michel Capperon.

On aimerait dire en conclusion : guettez la reprise de ce Ring ou précipitez-vous sur le film quand il sortira. Hélas, peine perdue ! Pour cette Tétralogie initiée pendant son directorat par Nicholas Snowman et non conçue dès le départ comme une coproduction avec d’autres scènes lyriques, qui s’achève cinq ans après sous celui de Marc Clémeur, il semble qu’aucun accord n’ait été possible entre McVicar et le nouveau directeur. Voici avec sa non-viabilité, une fin de Ring qui laisse sous son triomphe un bien regrettable arrière-goût de gâchis.

O.B.
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Photos : Alain Kaiser