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Orphée (Elisabeth Kulman), Eurydice (Genia Kühmeier)


Il est des productions dont on n’a rien à dire. Non qu’elles soient mauvaises : tout y est bien fait. Mais, de la fosse au plateau, il ne se passe rien. Riccardo Muti est un grand chef, qui dirige ici un des plus grands – le plus grand peut-être – orchestres du monde. Et cet Orphée de Gluck, présenté dans sa version viennoise, ne passe pas. On ne lui demandait pourtant pas, sachant son allergie à l’authenticité philologique, dont il a le droit de douter, de se faire baroqueux. On lui demandait seulement de diriger l’azione teatrale composée par Gluck, de nous rappeler que sa fameuse réforme visait à rétablir le drame dans ses droits. Noyée dans le grand Festpielhaus – mais il est comme Karajan : son nom remplit les salles et les caisses – l’œuvre se mue en cérémonial néoclassique figé, dépourvu de toute tension, dont les quatre-vingt dix minutes semblent se traîner, alors qu’on aurait pu regretter l’absence des ajouts de la révision parisienne. Karajan, en 1959, n’annonçait pas Gardiner, qui proposa au festival une version de concert en 1990, avec le contre-ténor Derek Lee Ragin : il n’en délivrait pas moins, sans prendre des tempi particulièrement allants, une formidable leçon de théâtre, préservée par le live. On lui pardonnait, du coup, ses charcutages divers. La Philharmonie de Vienne s’assoupit dans la rondeur soyeuse de ses sonorités, le chœur de l’Opéra ne montre pas plus de conviction. Encore une fois, on était prêt à passer sur tout, sur les tempos, sur l’effectif, sur le legato… à condition d’avoir de la vie. Ce n’est que propre et bien léché, d’une beauté lointaine et insensible. Le problème pourrait se résoudre en partie si l’on avait, en Orphée, un grand mezzo d’opéra, au tempérament dramatique affirmé. La jeune Autrichienne Elisabeth Kulman, dont on parle beaucoup sur place, à qui Vienne a déjà offert Fricka et Waltraute, paraît contaminée : cette jolie voix homogène, ce chant stylé mais sans grand relief, cette interprétation d’une neutralité bon chic bon genre ne font pas un Orphée, a fortiori un Orphée digne de Salzbourg.  Il y a bien la belle Eurydice de Genia Kühmeier, le charmant Amour de Christiane Karg : cela suffit d’autant moins que l’on n’a pas opté pour Paris. La mise en scène de Dieter Dorn, à l’avenant, pèche par la platitude de la direction d’acteurs et le manque d’idée forte – on sait, là encore, l’aversion du maestro pour les relectures du Regietheater. Point besoin d’être Warlikowski : on peut rester classique et marquer les esprits. Les costumes modernes, les effets rebattus de mise en abyme avec Orphée félicité par ses fans, l’ironique distanciation du ballet final, où l’on voit le quotidien des ménages, entre disputes et câlins, ne font rien à l’affaire. On se lasse vite de ce chœur qui va et vient sur la scène, de ces ombres rampant sur le sol des enfers dans une vapeur jaune. Côté décor, Jürgen Rose joue sur une abstraction épurée de pure convention et sur une symbolique des couleurs assez naïve – la Riviera azurée des Champs Elysées… C’est comme le reste : ça s’avale, mais ça n’a aucun goût.     

D.V.M.


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Orphée (Elisabeth Kulman)


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Orphée (Elisabeth Kulman). Photos : © Hermann und Clärchen Baus