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Carlo Colombara (Banco) Scott Hendricks (Macbeth)


Imprévisible Warlikowski ! Avec son imagination bouillonnante et sa folle virtuosité, on peut s’attendre au meilleur (le plus souvent heureusement : l’Iphigénie en Tauride de Garnier, la Médée de Cherubini à La Monnaie déjà) et aussi au pire (le scandaleux Roi Roger de Bastille). Car lorsque ses démons et fantasmes intimes prennent le dessus, il lui arrive de « péter les plombs ». Mais avec ce Macbeth de Verdi il signe une de ses plus éclatantes réussites, suscitant bien peu de réserves. Certes, il faut accepter ses obsessions et ses tics habituels : chambrées d’hôpital, chaises roulantes, lavabos (pas de toilettes heureusement !). Presque jusqu’à la fin du spectacle, il n’y a guère de traces de cette homosexualité qui envahissait son Roi Roger, car si sa vie privée est inviolable et mérite le plus total respect, il ne nous épargne pas de la juger du moment où il nous la fait partager. Or, durant le dernier acte, patatras ! Au moment du monologue de la mort de Macbeth, la valse d’un couple d’hommes nus tendrement enlacés en projection vidéo géante ne me semble pas présenter le moindre rapport avec le sujet. Du reste, l’initiative de réinstaurer ce morceau de la première version dans celle de 1865 ne me semble pas heureuse, elle fait un peu traîner la fin de l’œuvre. Avec son sens infaillible du temps et du rythme scéniques, Verdi savait ce qu’il faisait en le supprimant. Comme toujours, Warlikowski est prodigue des richesses accumulées de la mise en scène proprement théâtrale, et à nouveau il se confirme comme un merveilleux directeur d’acteurs, avec des artistes qui réagissent au quart de tour. La partie vidéo (Denis Guéguin), riche de trouvailles magnifiques, est parfois un peu redondante et d’une permanence qui lasse (le tournoiement constant du ventilateur suspendu au plafond de la salle de l’hôpital). L’idée de commencer par la lecture d’une lettre d’un combattant américain au Vietnam annonçant la joie de son proche retour à son épouse, parallèle évident de celui de Macbeth, me semble excellent en projetant l’histoire dans notre présent, procédé que le metteur en scène polonais affectionne. De même, le choix de faire des sorcières un inquiétant groupe de petites filles un rien perverses convainc tout à fait. Un sommet d’horreur tragique, c’est, à la fin du banquet (juste avant l’entracte), la projection des visages du couple infernal distordus par la terreur. Après la deuxième rencontre avec les gamines-sorcières, Warlikowski imagine Macbeth terrassé par une attaque cérébrale, d’où la chaise roulante du dernier acte, de laquelle il tombe à terre mort durant le bref triomphe de ses victimes vengées. Pour le reste, la mise en scène proprement dite et la direction d’acteurs sont franchement classiques, de sorte que le fil de l’histoire demeure intact et d’une parfaite clarté. Les décors et costumes (modernes) de Malgorzata Szczesniak sont sobres et efficaces.

Venons-en à la partie musicale, de très haut niveau. Scott Hendricks est un Macbeth somptueux, pathétique, dont les sombres éclats de puissance alternent avec des dégradés, des sons filés, des nuances dans le pianissimo qui m’impressionnent encore davantage. Dès sa première réplique, la Géorgienne Iano Tamar nous subjugue en Lady Macbeth par son timbre rouge sang, d’une rare richesse en harmoniques, d’une intensité dramatique irrésistible. C’est une grande voix, et une voix verdienne, une formidable actrice, triomphant dans la fameuse scène de somnambulisme du dernier acte (dans la grande lignée de Bellini ou de la folie de Lucia di Lammermoor). Longtemps dominatrice de son époux qu’elle entraîne dans l’enfer sanglant qu’est devenu leur vie conjugale, elle « craque » et meurt avant lui. Son obsession du sang versé indélébile (permanente dans la conscience humaine de Ponce Pilate à Wozzeck) résiste à tous les lavabos. Son ultime contre- bémol filé (« un fil di voce » indique Verdi) sur le mot « pallor » est l’unique rayon de lumière parmi tant de pourpre sombre.Bien sûr, le couple maudit domine la distribution. Mais Carlo Colombara (Banquo) est une magnifique basse profonde, Andrew Richards (MacDuff idéal) un ténor comme il y en a trop peu, s’attirant une juste ovation pour sa grande déploration du dernier acte, et Benjamin Bernheim un Malcolm sobre et puissant vengeur. Les chœurs, postés sur le premier balcon à gauche – ce qui dégage bien le plateau –, et l’orchestre maison, avec notamment de somptueux alliages de cuivres parfois d’une noblesse plus brucknérienne que wagnérienne, obéissent parfaitement à la direction engagée, frémissante, de Paul Daniel. On oublie parfois que cette œuvre de jeunesse, en partie refaite dix-huit ans plus tard (entre La Forza et Don Carlos ; elle partage cet avatar avec Simon Boccanegra) est déjà du très grand Verdi. Merci à cette production quasi-exemplaire de nous le rappeler !

A lire : Macbeth, n° 249


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Iano Tamar (Lady Macbeth) Scott Hendricks (Macbeth)


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Benjamin Bernheim (Malcolm). Photos B. Uhlig / Théâtre de La Monnaie.