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Julie Boulianne (Cendrillon) et Marianne Lambert (La Fée). © Yves Renaud.


Pour clôturer avec éclat sa trentième saison, l'Opéra de Montréal présente Cendrillon de Massenet, œuvre que les Canadiens avaient pu applaudir à Ottawa en 1979 dans la production de Brian Macdonald (avec Frederica von Stade, Ruth Welting, Maureen Forrester et Louis Quilico) qui avait été ensuite redonnée à Washington, San Francisco, New York et Paris (Châtelet, 1981). Aux antipodes de la version traditionnelle conçue pour la mezzo américaine, l'actuelle production (Renaud Doucet) propose une joyeuse transposition du conte de Perrault dans les États-Unis des années 1950. De nombreux publics ont déjà pu succomber au charme de cette Cendrillon : d'abord coproduite par l'Opéra national du Rhin et l'Opéra de Karlsruhe qui la donnèrent en 2003 et 2004, elle fut ensuite acquise par la compagnie québécoise puis montée au New York City Opera en 2007 et à l'Opéra de Marseille en décembre et janvier derniers. Dans cette vision hautement colorée de l'opéra de Massenet, les personnages évoluent dans des lieux représentatifs du mode de vie américain de l'après-guerre. Le premier acte se déroule dans une cuisine aux appareils électroménagers surdimensionnés. C'est du four de la cuisinière que sort Cendrillon et du téléviseur qu'apparaît la fée marraine. On ne peut s'empêcher de penser ici au travail de Robert Lepage dans The Rake's Progress (La Monnaie, 2007), où l'univers de la télévision et du cinéma jouait un rôle essentiel dans le destin du héros de Stravinski. Ce rapprochement s'impose d'autant plus que le tableau du chêne enchanté – sans doute le moment fort de cette production – développe une analogie saisissante avec le monde du cinéma. Cendrillon et le Prince se rejoignent non pas dans une forêt mystérieuse, mais dans un drive-in où l'on projette entre autres des extraits de films du mariage de Grace Kelly et du prince Rainier. Comment mieux traduire le rêve de quantité de jeunes femmes fantasmant sur l'homme qui viendra métamorphoser leur existence en conte de fées ? Et aussi étonnant que cela puisse paraître, une réelle poésie se dégage de ce tableau, grâce à la stylisation des voitures, de l'écran, des éclairages... Les scènes du palais prennent place, quant à elles, dans un dancing d'un kitsch parfaitement assumé. Le ballet du deuxième acte cède la place à une compétition hilarante entre cinq candidates rivalisant d'adresse pour montrer leurs qualités d'épouse idéale : soins apportés au bébé, repassage, préparation des repas... Dans ce véritable cirque où les aspirantes princesses se contorsionnent et jonglent à qui mieux mieux, avouons que la charge burlesque est un peu appuyée. Enfin, en toute logique, la maison de campagne du dernier acte devient ici un bungalow de banlieue à proximité d'autoroutes envahissantes. Le rose, couleur dominante du spectacle, se retrouve en particulier dans les flamants roses du jardinet. Tout aussi réjouissants que les décors, les costumes participent de ce côté très glamour qui renvoie aux comédies musicales des fifties. Sur le plan musical, la réussite s'avère également presque totale. À la tête d'un Orchestre Métropolitain en grande forme, Jean-Yves Ossonce sait mettre en relief le caractère loufoque, tendre ou passionné d'une partition qui recèle de nombreuses pages d'une extrême séduction. Dans le rôle-titre, Julie Boulianne remporte un très beau succès grâce à sa splendide voix d'une couleur assez sombre, très homogène et aux aigus faciles. Elle remplit sans problème la vaste salle Wilfrid-Pelletier, à l'acoustique capricieuse. Elle compose une merveilleuse Cendrillon, bien assortie à son Prince charmant, interprété par le ténor Frédéric Antoun doté de moyens impressionnants et qui sait fort bien plier sa voix aux subtilités de l'écriture de Massenet. Excellente prestation également en ce qui concerne Noëlla Huet, qui, dans le rôle de Mme de la Haltière, fait entendre un beau timbre de mezzo. Avec ses deux filles (impayables Caroline Bleau et Mireille Lebel), elle semble s'amuser follement sur scène. Gaétan Laperrière est plus inégal en Pandolfe ; son legato laisse à désirer, de même que sa diction et ses aigus. Enfin, Marianne Lambert chante avec grâce le rôle redoutable de la fée ; toutes les notes sont là, mais le registre suraigu est parfois strident. Le chœur, très sollicité sur le plan scénique, contribue à la qualité générale d'un spectacle qui termine la saison sur une note extrêmement positive.

L.B.


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Caroline Bleau (Noémie), Frédéric Antoun (Prince Charmant), Julie Boulianne (Cendrillon), Noëlla Huet (Mme de la Haltière), Mireille Lebel (Dorothée) et Marianne Lambert (La Fée).