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Pelléas et Mélisande, emblème du symbolisme lyrique, s’offre aussi bien à une approche naturaliste que légendaire ou abstraite. La mise en scène d’Alain Garichot semble, de prime abord, se situer dans l’esthétique du No japonais, à cause du masque blanc qui cache le visage de Mélisande au début, puis par un certain hiératisme dans la direction d’acteurs. Les décors géométriques sombres, à peine figuratifs, de Denis Fruchaud animés seulement, entre les tableaux, par le déplacement de ses éléments brouillé par projections de nuages vont dans le même sens de l’épure désincarnée. Ce que veut montrer le metteur en scène, c’est l’absence de communication entre les personnages qui, en effet, se regardent rarement en face et ne se touchent presque jamais ; même la scène où Golaud violente Mélisande reste très allusive. C’est Pelléas qui, en reculant, viendra s’empaler, comme par accident, sur l’épée dégainée. Si le parti pris n’était pas si évident il serait plus efficace car dès qu’un procédé se dévoile il porte moins. Le personnage de Mélisande, très fort au début, face à un Golaud désemparé (au point qu’on peut s’étonner qu’elle accepte de le suivre), ne s’affirmera pas davantage dans ce sens car il n’est guère question d’affrontements ou de psychologie ; à la fin, elle s’évade de sa couche mortuaire comme un ange, laissant les morts-vivants du château d’Allemonde pleurer sur un lit déserté. Certaines idées sont assez inexplicables, comme l’apparition éphémère de Golaud pendant le duo d’amour (« Tu regardais ailleurs » « Je te voyais ailleurs ») ; d’autres se révèlent plus subtiles : ainsi la pierre « plus lourde que tout le monde », sur laquelle Yniold s’acharne, est un petit globe transparent avec lequel il joue, léger comme les bulles de savon qu’il soufflait à l’acte précédent. Malgré ses qualités esthétiques, ce spectacle n’émeut guère, d’autant que la direction musicale adopte le même parti : tordre le cou à l’éloquence.

Quitte à bousculer la bonne tenue de l’orchestre symphonie et lyrique, les tempos du chef, Juraj Valcuha, presque toujours rapides, permettent juste de dire le texte en récitatif mélodique, rarement de le transfigurer par un chant soutenu. Les interprètes francophones parviennent encore à donner un peu de poids aux mots mais, malgré une prononciation remarquable, Kevin Greenlaw (superbe baryton un peu tendu seulement dans l’aigu de Pelléas) et de Nigel Smith, Golaud très en voix lui aussi, passent à travers les phrases sans les incarner assez. Le profil de leur personnage s’en ressent mais ce n’est, visiblement, pas un enjeu dans cette production. Jean Teitjen possède la stature d’un Arkel même si la couleur de sa voix est encore un peu juvénile pour le rôle tandis que le timbre chaud et velouté d’Élodie Méchain faire regretter que les interventions de Geneviève soient si rares. Le Médecin (Vincent Billier) et le Berger (Benjamin Colin) ne sont pas en retrait comme il arrive souvent, ni Yniold, confié, en alternance, à deux adolescentes. Sans doute est-ce la Mélisande d’Ingrid Perruche qui laissera le souvenir le plus durable, tant par la netteté de la prononciation et des intonation que par le naturel avec lequel elle se glisse dans un personnage dont elle a la silhouette et cette force vitale contenue des êtres réservés. Dans la douceur comme dans la puissance des envolées lyrique elle est toujours à l’aise, toujours « juste» ; il y a, de par le monde, bien d’autres Mélisande en activité mais on serait tenté de dire d’Ingrid Perruche : « c’est la vraie ».

G.C.

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