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Nouvel opus du tandem Philippe Boesmans / Luc Bondy après Reigen en 1993, Wintermärchen en 1999 et Julie en 2005, Yvonne, princesse de Bourgogne retrouve les qualités constantes de leur œuvre commune. D’abord, le talent humble de savoir choisir pour source d’un livret les meilleurs textes dramatiques : après Schnitzler, Shakespeare et Strindberg, voici donc Gombrowicz et son anti-héroïne qui sème d’autant plus le trouble qu’elle ne se laisse pas aisément appréhender – entre apathie et distance, idiotie ou lucidité, laideur obscène ou laideur-miroir tendu aux âmes, répulsion ou fascination, son visage, son corps, son attitude même sont tout à la fois fuite et provocation, absence et insolence. Ensuite, l’art d’assumer un genre – l’opéra – et de le conduire au meilleur de lui-même sans fuir la grande forme, le chassé-croisé des personnages, les références poétiques ou parodiques aussi – du klezmer à Offenbach, d’une pavane à un grand air pour soprano (le formidable « Souplesse », aussi drôle que sensuel, brillamment interprété par Mireille Delunsch, Reine fofolle et charmeuse à souhaits). Enfin, le ton juste d’une partition ciselée, complexe mais généreuse, élégante et dévergondée tour à tour (splendide Klangforum de Vienne dirigé avec finesse par Sylvain Cambreling), et qui ose pour le rôle-titre un rôle muet – la comédienne Dörte Lyssewski, moue boudeuse et mollesse de pantin, laisse échapper par fulgurances des regards blasés et des invectives assassines comme autant d’indices d’un monstre glissant sous l’eau tiède. Autour d’elle, à qui Luc Bondy offre la pâleur, la fadeur, comme un pôle d’absorption des couleurs criardes de la petite cour ubuesque qu’il a bâtie, et outre Mireille Delunsch déjà citée, tous sont au diapason de la cruauté sous toutes ses formes : Yann Beuron, Prince qui croit s’essayer au « geste libre » en s’offrant des fiançailles avec Yvonne, puis se dégoûte d’elle jusqu’au crime (timbre et diction impeccables) ; Paul Gay, Roi démangé par un corps suractif (accoutré d’impayables tenues de sport dorées), en grande forme vocale et comique ; Hannah Esther Minutillo, dont le personnage évolue de la suivante compatissante à la rivale sans pitié au point d’entonner un Lacrimosa lascif devant le cadavre d’Yvonne. Car Yvonne meurt, étranglée par une arête de poisson, et Bondy la fait s’écrouler dans un plat de perches, poisson elle-même retournant à son élément, aqueuse et glissante Yvonne, muette comme une carpe. Rarement livret autant que musique recèlent de ces mystères qui font qu’à peine l’opéra créé, on en attend et espère une nouvelle écoute.

C.C.


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