Pour son second récital-concept au Théâtre des Champs-Elysées après Era la notte en 2006, Anna Caterina Antonacci a de nouveau fait appel à Juliette Deschamps pour la mise en scène, cette fois autour d’un programme dédié aux grandes tragédiennes françaises. De la Phèdre de Rameau à la Didon de Berlioz, en passant par l’Armide de Gluck et la Médée de Cherubini, ce répertoire exalte une artiste qui sait en rendre l’airain vocal comme la langue ciselée, la dignité blessée comme l’implosion volcanique. L’adéquation d’Antonacci au style, à l’esprit et à la vocalité très particulière qui fondent la continuité de la tragédie lyrique française par-delà les époques, est un moment rare de l’histoire de l’interprétation, placé ici dans l’écrin d’un programme finement conduit. La mise en scène de Juliette Deschamps, à la scénographie élégante et dépouillée (décors d’ardoise et de perspectives de Nelson Wilmotte, lumières architecturales de Joël Hourbeigt), installe une narration suffisamment discrète et élastique pour pouvoir contenir tour à tour les amours carnassières ou désespérées, sensuelles ou maternelles, de ces personnages mythiques et voraces : Phèdre, et Armide, et Médée, et Didon ! – une seule suffirait à vider l’énergie d’une interprète, Antonacci les visite avec une intensité toujours renouvelée. Seuls les costumes – des robes fleuries au demeurant superbes et seyantes, signées Macha Makeïeff – soulignent trop cet aspect « galerie de portraits », glissant involontairement au défilé déconcentrant. Quelques touches poétiques ne parviennent pas non plus à s’insérer dans une trame globale d’une densité minérale – les textes sonorisés d’Andrée Chédid, ou la Mort d’Ophélie de Berlioz, coupée en deux pour servir d’exergue et d’envoi final, et dont le frémissement conclusif est affadi par l’ombre portée des monstres convoqués juste avant. Bien au-dessus d’un orchestre qui se structure dans ses interventions symphoniques mais se liquéfie dans ses accompagnements (Les Siècles, dirigés par François-Xavier Roth) – malgré lui, donc –, c’est l’artiste Antonacci qui domine et fait passer dans la salle le souffle de ces héroïnes démesurées.

C.C.